Marc Guillaume, l’ancien secrétaire général du gouvernement, a admis avoir été informé à deux reprises du cas Olivier Duhamel. D’abord en 2018, laconiquement, via le directeur de Sciences Po, puis en 2019, au club Le Siècle. Mais devant le démenti de Duhamel, rien n’a bougé.
[Cet article est un extrait de notre enquête à paraître cette semaine dans Marianne le numéro du vendredi 12 février 2021]
Nouveau tremblement de terre en perspective dans l’affaire Olivier Duhamel. Interrogé en début de semaine dernière par les enquêteurs de la mission d’inspection de l’Éducation nationale, Marc Guillaume, ancien secrétaire général du gouvernement et actuel préfet d’Île-de-France a reconnu qu’il avait été informé à deux reprises de « problèmes sexuels » concernant Duhamel. « Mais pas d’inceste », a-t-il nuancé…
La première fois, au printemps 2018, c’est Frédéric Mion, le directeur de Sciences Po, conseiller d’État comme lui, qui est venu l’alerter. Peu de temps auparavant, Frédéric Mion a déjeuné avec Aurélie Filippetti, l’ancienne ministre de la Culture sous François Hollande et alors professeure à Sciences Po. En février 2018, Filippetti a appris de la bouche de deux amies, très proches du couple Duhamel-Pisier, le « secret de famille » qui ronge cette fratrie depuis des années.
« Il ne faut pas qu’on puisse penser qu’on savait »
« J’étais sous le choc, j’ai raconté à Frédéric Mion tout ce que m’avait appris Jeanine Mossuz-Lavau, à savoir qu’un des fils d’Évelyne Pisier avait été violé enfant par son beau-père Olivier Duhamel au début des années quatre-vingt-dix », raconte à Marianne Aurélie Filippetti. Dans ce récit, pas l’ombre d’un doute que les viols dont il est question ont été commis alors que le beau-fils, enfant d’un premier mariage d’Evelyne Pisier avec Bernard Kouchner, était mineur. « Frédéric Mion aussi est tombé de l’armoire et m’a dit qu’il allait en parler à Marc Guillaume », affirme l’ancienne ministre de la Culture.
Mais à ce jour, le directeur de Sciences Po n’a jamais admis publiquement avoir alerté Marc Guillaume à l’époque. Frédéric Mion l’a nié au sein de Sciences Po. Pis, au lendemain de la révélation de l’affaire Duhamel début janvier, il aurait appelé Aurélie Filippetti à deux reprises, la première fois pour lui dire : « Il ne faut pas qu’on puisse penser qu’on savait ». La seconde fois pour lui demander « de ne pas confirmer que Marc Guillaume était au courant ».
Or selon nos informations, Marc Guillaume a admis début février devant les enquêteurs de l’inspection, que Frédéric Mion était bien venu le voir. Mais l’actuel préfet d’Île-de-France a déclaré que le patron de Sciences Po lui a alors parlé de simples « rumeurs sur la sexualité d’Olivier Duhamel » concernant un de ses beaux-fils. Devant les enquêteurs, Marc Guillaume a certifié n’avoir pas imaginé que celui-ci était mineur et que le mot « inceste » n’a jamais été prononcé. Un récit surprenant. Pourquoi, si le beau-fils avait été majeur, Frédéric Mion serait-il venu l’alerter ? Et de quoi ?
« Simples rumeurs »
Marc Guillaume a néanmoins raconté aux enquêteurs avoir conseillé à Frédéric Mion d’en parler à Jean Veil, l’avocat et ami de Duhamel. Cet épisode est connu : devant Frédéric Mion au printemps 2018, Jean Veil a vivement démenti « de simples rumeurs » et les choses en sont restées là… Olivier Duhamel a conservé son poste de président de la FNSP [Fondation nationale des Sciences politiques], la prestigieuse fondation en charge du budget des grandes orientations et de l’image de Sciences Po Paris. « Quand Aurélie est allée voir Frédéric Mion, ce n’était pas pour saisir le procureur, ce n’était pas leur rôle ni à elle ni à lui, mais pour faire en sorte que Duhamel quitte cette présidence, tout simplement parce qu’il la mettait en danger », explique aujourd’hui un proche de l’ancienne ministre de la Culture.
Il est clair qu’au printemps 2018, Marc Guillaume, administrateur de la FNSP, comme Frédéric Mion, directeur de Sciences Po, n’ont tout simplement pas pris la mesure des choses. Les deux hommes sont passés à côté de vérifications qu’il aurait alors été facile d’effectuer auprès de la famille Kouchner. Comment ont-ils pu se contenter d’un simple démenti de Jean Veil ? Selon nos sources, outre Jeanine Mossuz-Lavau, enseignante à Science Po, deux autres éminents professeurs de la maison étaient au courant du secret de famille… « Frédéric Mion ne m’a rien demandé », assure à Marianne Jeanine Mossuz-Lavau, elle aussi entendue par la mission d’inspection.
Une conversation « tendue » en 2019
« Marc Guillaume maintient ce qu’il a dit dans son communiqué du 13 janvier dernier, à savoir qu’il n’a jamais été mis au courant des accusations d’inceste portées contre Olivier Duhamel, telles que rapportées par Camille Kouchner », nuance auprès de Marianne un proche du préfet d’Île-de-France. « Fréquentant Olivier Duhamel depuis des années, je me sens trahi et condamne absolument ces actes. J’ignorais totalement l’existence de tels crimes avant la parution de ce livre et des articles l’annonçant », mentionne le communiqué du 13 janvier, annonçant la démission de Marc Guillaume de ses fonctions au sein de Sciences-Po et du Siècle.
Devant les enquêteurs de l’inspection, Marc Guillaume a cependant révélé un second épisode, fin 2019, quand Olivier Duhamel a été élu à la présidence du Siècle. Louis Dreyfus, patron du Monde et compagnon de Camille Kouchner, s’en indigne, et une seconde alerte arrive aux oreilles du secrétaire général du gouvernement. Cette fois-ci, il prend le parti d’en parler directement à Olivier Duhamel. La conversation aurait été tendue. « Je n’ai à rougir de rien, je n’ai rien à me reprocher et aucune raison de démissionner de quoique ce soit », lui aurait répondu le constitutionnaliste, mettant fin à la conversation et à tout scénario de démission. Depuis le premier trimestre 2020, Covid aidant, Marc Guillaume et Olivier Duhamel, longtemps inséparables, auraient ensuite « pris leurs distances », selon un proche du préfet… Depuis le 4 janvier en tout cas, ils ne se seraient plus adressé la parole.