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(20 minutes) Rennes : L’État attaqué pour faute lourde par une femme victime de viols répétés lorsqu’elle était enfant

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De 2002 à 2005, Karine avait été livrée à un homme déjà condamné pour pédophilie. De nombreux signalements avaient été réalisés, mais jamais la fillette n’avait été protégée

  • Une femme âgée de 23 ans attaque l’État pour « faute lourde » ce mercredi devant la cour d’appel de Paris, estimant qu’elle n’a pas été protégée pendant son enfance
  • De 2002 à 2005, Karine Jambu a été violée par un ami de ses parents alors qu’elle n’avait que 4 ans.
  • De nombreux signalements avaient été produits par sa tante et certains services médicaux ou scolaires, mais jamais elle n’avait été placée.

« On a plus d’une dizaine de signalements. Le cas de Karine est exceptionnel, je n’avais jamais vu ça ». Mercredi, Me Grégory Thuan tentera de faire condamner l’État français pour « faute lourde » devant la cour d’appel de Paris, au motif qu’il n’a pas su protéger sa cliente des immondes sévices subis pendant son enfance. Karine Jambu avait 4 ans quand elle a commencé à être violée par Roland Blaudy, un homme hébergé par ses parents à Rennes.

Ces derniers n’ont rien fait pour protéger leur enfant. Pas plus que le procureur de l’époque, qui a plusieurs fois classé le dossier malgré les évidences et les multiples signalements. Ou que le médecin de famille, toujours en exercice, qui avait établi de faux certificats médicaux. Ou que le juge pour enfants, que certains policiers et bien d’autres encore. C’est pour sanctionner « cette multitude de fautes » et avec l’infime espoir d’épargner d’autres victimes que Karine et sa tante Laurence Brunet-Jambu ont décidé d’attaquer la France en justice.

En 2018, le tribunal correctionnel de Paris était déjà entré en voie de condamnation pour « déni de justice », au motif que le parquet de Rennes avait mis un an à confier le dossier à un juge d’instruction. Un délai « anormalement long », selon le tribunal. Si elle semblait caractérisée, la faute lourde n’avait pas pu être retenue pour une raison de prescription. La jeune femme, aujourd’hui âgée de 23 ans, avait fait appel. En produisant de nouveaux documents, son avocat espère faire sauter le verrou de la prescription et mettre l’État face à ses responsabilités. « Karine aurait dû être protégée avant même d’être née », avance Me Thuan. La raison ? La condamnation pour meurtre dont sa mère avait fait l’objet dix ans plus tôt pour avoir tué son nourrisson de 180 coups de couteau. « Dès sa naissance, sa mère l’a délaissée. Le personnel de l’hôpital a fait part de ses inquiétudes mais rien n’a été fait ».

Pour acheter leur silence, il achète des cigarettes, de l’alcool…

Alors qu’elle a à peine 4 ans, Karine est violée à de multiples reprises par Roland Blaudy sous les yeux à peine détournés de René et Anne-Marie. Pour acheter le silence des parents, l’homme déjà condamné pour pédophilie leur offre des cigarettes, de l’alcool ou des denrées alimentaires. Les sévices dureront pendant plusieurs années et seront régulièrement dénoncés par la tante de la fillette. Mais la justice ne fait rien. Quand elle est entendue par les enquêteurs, Karine n’ose pas dire grand-chose, de peur d’être maltraitée par ses parents, qui ne l’aiment pas. Mais la justice ne fait rien. Alors qu’elle n’a que 5 ou 6 ans, l’enfant adopte parfois des comportements sexués à l’école, ce qui donne lieu à de nouveaux signalements. Mais la justice ne fait rien.

La fillette ne doit son salut qu’à une plainte de la fille de son bourreau, en 2005. Mais là encore, une chose impensable se produira. La justice ne fera même pas le rapprochement avec l’affaire de Karine, dont les derniers signalements remontent à moins de deux mois ! « Ça se passait pourtant dans les mêmes murs au sein de la brigade des mœurs de Rennes. Dans le même service. Avec les mêmes personnes ! », s’agace sa tante. Pour Karine, il faudra attendre 2018 pour voir son bourreau Roland Blaudy être condamné à trente ans de réclusion criminelle. Dans la salle de la cour d’assises, la mère de Karine avait livré un timide « on s’excuse », avant d’expliquer qu’elle n’avait « pas le temps » de protéger sa fille d’un homme dont elle savait qu’il avait été condamné pour pédophilie. « Je faisais le ménage, la vaisselle. Je ne pouvais pas tout surveiller. »

« On aurait pu arrêter tout ça. Mais tout le monde a préféré fermer les yeux »

Dans un livre paru en 2018 et intitulé « SignalementS », Karine et sa tante avaient étrillé la justice et l’aide à l’enfance​, accusant nommément des magistrats de fautes graves. « Tout ça ne serait pas arrivé si elle avait été protégée. Et on aurait pu arrêter tout ça. Mais tout le monde a préféré fermer les yeux », accuse Laurence Brunet-Jambu, qui a depuis adopté sa nièce.

« J’aimerais que la justice s’organise pour que l’on sache entendre la parole des enfants violés »

En poursuivant l’État, elle nourrit l’espoir de voir les choses changer. « J’aimerais que certains s’excusent. J’aimerais que l’on reconnaisse des fautes pour que ça ne se reproduise plus. J’aimerais que la justice s’organise pour que l’on sache entendre la parole des enfants violés », explique-t-elle, proposant « un département détaché pour les violences sexuelles » comme c’est le cas au parquet financier ou pour les affaires terroristes.

 

 

Ce mercredi, son avocat s’avancera avec un épais dossier et des éléments concrets montrant tous les manquements. Il produira des preuves d’erreurs caractérisées, y compris de la part de magistrats toujours en poste aujourd’hui. Lors du procès aux assises, l’avocat général s’était d’ailleurs excusé, estimant que ses prédécesseurs avaient « manqué de clairvoyance ». « Si la faute lourde est reconnue, ce sera une première devant une cour d’appel », prévient Me Grégory Thuan.

L’an dernier, l’avocat avait fait condamner la France pour ne pas avoir su protéger Marina Sabatier. Cette fillette de 8 ans avait été retrouvée morte en 2009 près du Mans, après avoir vécu un calvaire. Mais il avait fallu aller devant la Cour européenne des droits de l’homme pour obtenir cette maigre réparation. « Il faut que cela fasse jurisprudence. Il faut en tirer des leçons, que les services travaillent mieux les uns avec les autres », espère Me Thuan. Pour Marina, pour Karine et tous les autres.

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