Trois cents Français sont suspectés de commander des viols d’enfants sur internet en échange d’argent. Le livestreaming, une pratique criminelle en pleine expansion.
Le pratique criminelle du livestreaming se développe, ce qui inquiète les associations et les autorités qui se disent « submergées ».
Les victimes sont essentiellement étrangères, originaires des pays pauvres comme les Philippines. 300 Français sont suspectés par les autorités judiciaires d’avoir commandité des viols en direct, en ligne.
Les associations demandent davantage de moyens pour lutter contre ces crimes spécifiques. La France ne compte que 25 enquêteurs spécialisés, contre 320 au Royaume-Uni.
Des pédocriminels commandent des viols de mineurs en direct, en ligne, en échange de quelques dizaines de dollars. Les jeunes victimes sont originaires de pays pauvres, d’Asie du sud-est souvent. Des Philippines et de Malaisie principalement.
Aux Philippines, ce sont des milliers d’enfants pauvres qui seraient abusés, torturés, souvent avec le consentement des parents, pour satisfaire les pulsions sexuelles de quelques criminels, notamment français.
« Il n’y a pas de limites aux sévices ; il faut qu’ils crient, qu’ils pleurent, qu’ils aient mal », indique Laurence Ligier, fondatrice-directrice de l’association Caméléon qui a pour mission de protéger les enfants contre les violences sexuelles en France et aux Philippines.
Des demandes accrues depuis l’épidémie de Covid
Ce phénomène de livestreaming, ou viol en direct, « s’est beaucoup développé ces dernières années, notamment depuis le Covid », constate Simon Latournerie, directeur adjoint de l’association Colosse aux pieds d’argile qui lutte contre les violences sexuelles.
Cela permet aux pédocriminels d’avoir ce qu’ils veulent sans se déplacer. Le tourisme sexuel se fait principalement en ligne aujourd’hui.
Simon Latournerie,
Colosse aux pieds d’argile.
Aux Philippines, épicentre mondial du livestreaming selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), la pratique s’est « de plus en plus répandue depuis le premier confinement avant tout pour des raisons de pauvreté, puisque les familles ont perdu leurs sources de revenus ; elles étaient confinées avec des enfants ; l’accès aux téléphones portables est facile ; la connexion internet est bonne et la demande de la part des étrangers s’est accrue », confirme Laurence Ligier, qui se déplace régulièrement là-bas.
« Depuis le Covid, le nombre d’images pédocriminelles en circulation sur internet ne fait qu’augmenter d’année en année, ce qui très inquiétant. Selon Europol, les échanges à caractère pédocriminel ont ainsi été multipliés par dix en mars 2020 avec le premier confinement », indique Socheata Sim, responsable de la mission sociale France de l’association Caméléon.
L’association Point de contact, qui travaille au retrait des contenus illicites, a vu les signalements pour violences sexuelles sur mineurs doubler entre 2020 (10 202) et 2021 (20 081).
300 Français identifiés
Lors du forum de Davos (Suisse) au printemps 2022, le secrétaire général d’Interpol, Jürgen Stock alertait : « L’augmentation massive des abus et de l’exploitation pédosexuels sur internet déclenchée par la pandémie de Covid-19 ne faiblit pas. […] Le volume d’images submerge d’ores et déjà les services chargés de l’application de la loi du monde entier. »
Selon nos informations, 17 procédures judiciaires impliquant 300 Français étaient ouvertes en novembre 2022, pour ce seul phénomène de livestreaming. Ce sont donc, au bas mot, 300 Français qui commanditent ces viols en direct, depuis leur domicile. Il y avait seulement six procédures ouvertes en 2020.
30 dollars le quart d’heure de viol
Au début du phénomène, dans les années 2010, l’heure de viol se monnayait 30 dollars. « 60 dollars s’il y avait des actes de torture en plus », précise Simon Latournerie.
Ce phénomène est en forte expansion et les agresseurs sont de plus en plus gourmands et exigeants. Aujourd’hui, les tarifs ont significativement augmenté, on est sur 30 dollars les 15 minutes.
Simon Latournerie,
Colosse aux pieds d’argile.
Le lien entre ces criminels et les familles se noue en ligne ou lors de voyages. « Ce sont des hommes qui établissent des relations sur des sites de rencontres avec des femmes philippines qui cherchent à fuir le pays et dans un second temps, ils demandent à voir des enfants », relate Laurence Ligier de Caméléon.
9 000 dollars pour violer et tuer une petite fille
Les prix varient en fonction des atrocités demandées. « 35, 45, 50, 100 dollars le quart d’heure, la demi-heure, ça dépend ce qu’ils demandent et c’est crescendo dans l’horreur : un viol, des actes de torture, « une mise à mort » comme ils disent. Il n’y a pour certains plus de limite dans le sentiment de super-pouvoirs qu’ils peuvent avoir sur des êtres vulnérables », explique Laurence Ligier.
En novembre 2022, un Australien a été condamné à 129 ans de prison pour avoir infligé des sévices extrêmes à de jeunes Philippins, par l’intermédiaire de sa petite amie philippine. Parmi ses victimes, une fillette de 18 mois et une enfant de deux ans dont le corps a été retrouvé enterré dans la propriété louée par le bourreau, relate Le Journal de Montréal.
Les vidéos étaient vendues à des clients en Allemagne, aux États-Unis et au Brésil.
Le viol et la mise à mort d’un enfant « coûtent entre 5 000 et 9 000 dollars », d’après Laurence Ligier qui intervient aux Philippines depuis 25 ans.
Au vu des transactions financières, il est avéré que certaines victimes sont torturées pendant plusieurs années. « Il y a des dossiers où le nombre de virements est hallucinant ; sur plusieurs années, on a plusieurs centaines de virements, avec un seul commanditaire », confie Ludivine Piron bénévole à Ecpat France, association qui milite contre l’exploitation sexuelle des enfants. Et il y a généralement plusieurs commanditaires pour une seule enfant.
« Ce sont souvent des familles pauvres qui trouvent plus facile de mettre un enfant devant une webcam que d’aller se courber le dos à planter du riz ou de travailler dans les champs de canne à sucre. Ils prennent ce qu’il y a à la maison, ajoute Laurence Ligier. En moyenne, les familles pauvres ont six à huit enfants. Donc puisque la demande est croissante et lucrative, ils exploitent leurs propres enfants ou ceux dont la mère est partie travailler à l’étranger. »
Monsieur Tout-le-monde
Selon un rapport de l’association Ecpat, qui s’est constituée partie civile dans 11 affaires impliquant des criminels français, les enfants victimes sont « principalement âgés de 10 à 18 ans ».
Ce rapport datant de septembre 2022, précise que « plus les enfants victimes sont jeunes, plus les violences sexuelles sont extrêmes et plus les pédocriminels sont enclins à payer ». Dans 85 % des cas ce sont des petites filles, selon l’association Caméléon.
« Les commanditaires sont des pédocriminels classiques qui passent à un niveau supérieur en commandant des viols d’enfants sur internet. […] Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas le vieux bedonnant derrière son ordinateur. Il y a un dossier dans lequel il s’agissait d’un jeune de moins de 30 ans, employé d’une plateforme d’aide informatique. Il y avait aussi un pilote d’avion, marié pendant des années, avec deux filles, un monsieur respecté et respectable sur le papier. Il y a des septuagénaires. Les commanditaires sont monsieur Tout-le-monde », avertit Ludivine Piron d’Ecpat.
La France est le quatrième pays au monde hébergeur de contenus pédocriminels, derrière les Pays-Bas, les États-Unis et la Russie. « Cela ne veut pas dire qu’en France il y a plus de pédocriminels, mais que l’infrastructure française est puissante et qu’il y a plus de contenus hébergés en France, qu’en Allemagne, par exemple », nuance une analyste de Point de contact. Les Philippines sont le premier pays pourvoyeur.
La « sextorsion »
En France, aucune victime de livestreaming n’est connue officiellement par les autorités, mais « les prédateurs infiltrent les terrains de jeux des enfants et les incitent à produire des actes sexuels, jusqu’à l’autopénétration, ce qui s’assimile à un viol. C’est le même continuum de violences sexuelles », relate Socheata Sim, responsable de la mission sociale France au sein de l’association Caméléon.
C’est le phénomène connu sous le nom de « sextorsion ».
Grâce au grooming, technique consistant à masquer sa véritable identité pour se faire passer pour un mineur, des pédophiles investissent les « réseaux sociaux des adolescents : Tiktok, Facebook, Twitter ou encore Snapchat », précise Shiva fondateur de l’association Eunomie, dont les membres traquent les pédocriminels sur la toile. L’homme confirme que durant le Covid, son association « a été contactée pratiquement deux fois plus qu’à l’accoutumée ».
« Avec le Covid, les auteurs qui étaient déjà sur les réseaux, le sont encore davantage, mais aussi et surtout les victimes. C’est une masse de potentielles victimes encore plus accessibles », alarme Simon Latournerie.
Le directeur adjoint de l’association Colosse aux pieds d’argile prévient aussi que ces prédateurs, pour obtenir du contenu, passent par les jeux en ligne de type Fortnite et Minecraft, très prisés des enfants et adolescents : « Les adultes qui font ça sont des gamers ; ils indiquent où est l’issue, donnent des conseils sur le jeu pour permettre de passer des paliers. Ce sont des conseils basiques, mais l’enfant va se sentir en confiance avec quelqu’un qui l’aide. »
Ce que dit la loi
Le phénomène de « sextorsion » a bien été identifié dans la loi d’avril 2021, dite loi Billon, visant à protéger les mineurs des crimes sexuels. Elle punit de sept ans de prison et de 100 000 euros d’amende les commanditaires de ces vidéos. La peine est de 10 ans et 150 000 euros si l’enfant a moins de 15 ans.
Depuis juillet 2020, « les consommateurs de livestreaming en France peuvent être poursuivis pour complicité de viols sur mineurs avec actes de torture et de barbarie et aussi association de malfaiteurs, et non plus simple comparution pour détention d’images pédopornographiques », détaille Laurence Ligier. Ce crime est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison ferme.
Pour aller plus loin, l’association Ecpat France demande la promulgation d’une « législation nationale criminalisant expressément l’abus sexuel d’enfants en ligne et en direct, afin de le reconnaître et de le traiter comme une forme unique d’abus et d’exploitation sexuels d’enfants ».
En échange de ces conseils, de cette aide, des enfants peuvent aller jusqu’à « passer à des actes de viols sur eux-mêmes, on appelle cela de l’autopénétration, issue d’une contrainte par manipulation », explique Simon Latournerie. L’auteur va ensuite menacer sa victime de faire circuler des vidéos ou photos s’il n’obtient pas de nouvelles images, des faveurs sexuelles ou bien de l’argent. C’est la « sextorsion ».
Selon le ministre délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot, « 750 000 pédophiles sévissent sur les forums et réseaux sociaux auxquels nos enfants ont accès ».
Les contenus circulent sur le darkweb
En France, chaque année, 100 000 pédophiles consultent ou/et téléchargent du contenu pédopornographique, sans toutefois alimenter la toile. « Le plaisir de cet adulte est de consulter et de partager ces contenus avec ses pairs qui ont les mêmes troubles pédophiliques que lui », précise Simon Latournerie.
Les contenus sont disponibles sur le darknet, devenu facilement accessible par les pédophiles grâce à des tutoriels qu’ils se partagent. « Des petits groupes de mecs font tourner les images sur le darknet via des forums plus ou moins difficiles d’accès », confirme Shiva qui a infiltré les réseaux pédopornographiques.
« J’ai une fois participé à un forum multilingue, il y avait 1,8 million de membres connectés du monde entier », poursuit cet activiste d’Eunomie. Le darknet, ou darkweb, est un réseau caché sur internet accessible seulement depuis certains navigateurs comme Tor, le plus connu. Il s’agit de contenus qui ne sont pas indexés sur les navigateurs traditionnels type Chrome ou Firefox.
Dans le cas des livestreaming, les pédocriminels ne conservent pas les vidéos. « C’est un moyen pour eux de ne pas se faire attraper en cas de perquisition », précise Ludivine Piron, d’Ecpat.
Cependant, « il y a quand même des dossiers dans lesquels il y a les vidéos, parce que ces hommes veulent garder ce pour quoi ils ont payé ». Mais ces shows en direct ne sont quasiment jamais diffusés.
Seulement 25 enquêteurs spécialisés
En France, c’est l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), relié à la Direction centrale de la Police judiciaire qui a la charge de traiter ces affaires de pédocriminalité. Il gère également la coopération internationale ; il fait le lien avec les services judiciaires des autres pays, mais forme aussi les policiers étrangers.
Par exemple, une enquêtrice de l’OCRVP a été détachée aux Philippines pour former la police locale à la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs en ligne.
Dans ce service, ils ne sont que 17 enquêteurs, policiers et gendarmes. Ils coordonnent les opérations avec les brigades de gendarmerie et les Directions territoriales de la police judiciaire, présentes dans chaque région.
C’est ce qui s’est passé en novembre 2022, lors d’un vaste coup de filet, partout en France, où l’OCRVP a coordonné l’interpellation de 48 hommes soupçonnés d’avoir téléchargé et consulté massivement des photos et vidéos pornographiques mettant en scène des enfants.
« Ce sont les Américains qui nous ont prévenus », confie à Enquêtes d’actu une source judiciaire. « On a participé à l’interpellation de plusieurs individus. On a saisi et analysé leur matériel informatique », précise cette même source.
Il y a aussi le Groupe de répression des atteintes aux mineurs du Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) de la gendarmerie, qui regroupe huit enquêteurs et lutte notamment contre l’exploitation sexuelle en ligne de mineurs et la pédocriminalité.
Soit en France, 25 enquêteurs spécialisés quand ils sont 320 au Royaume-Uni ou 150 aux Pays-Bas.
Selon un policier en province qui répond à chaque fois aux sollicitations de l’OCRVP, « il est évident qu’il faudrait plus de monde, plus d’enquêteurs ».
Nous avons besoin de vous pour lutter contre la cyberpédocriminalité !
Découvrez et signez notre manifeste : https://t.co/XpSWUHiQmS
— CAMELEON Association France (@Asso_Cameleon) November 15, 2022
Dans son « manifeste pour lutter contre la cyberpédocriminalité » (12 000 signatures), l’association Caméléon réclame l’augmentation des moyens alloués aux « enquêteurs spécialisés contre la cyberpédocriminalité », et le renforcement de « la coopération internationale entre pays », et entre les forces de l’ordre et les plateformes, en particulier dans le cas de viols commandités en direct à l’étranger. « Si les secteurs public et privé n’unissent pas davantage leurs forces, cette sordide tendance à la hausse continuera sa progression », prévenait Jürgen Stock, le secrétaire général d’Interpol.
Pour « des raisons opérationnelles », l’OCRVP a refusé de répondre à nos questions.