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(BFM) Sophie Abida : « je ne remettrai pas ma fille »: elle refuse de laisser son enfant à son ex-compagnon, qu’elle accuse d’inceste

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Une mère a été placée en garde à vue, en détention provisoire et condamnée pour non-représentation d’enfant. Elle dit vouloir protéger ses fils et ses filles, qu’elle dit victimes de violences sexuelles de la part de leur père – ce dernier dément.
Cela fait plus de deux mois que Sophie Abida n’a pas revu ses enfants. « C’est un enfer sans fin, une torture au quotidien », dénonce-t-elle. « Je n’ai pas de nouvelles, je ne les ai même pas au téléphone, leur père refuse de me les passer. Je ne sais même pas si on leur a donné mes lettres. Je n’en dors plus de la nuit. »

Cette femme de 38 ans accuse son ancien conjoint de violences physiques et sexuelles sur la fratrie. Après la séparation du couple, la résidence des quatre enfants a malgré tout été fixée à son domicile: depuis la mi-février, trois d’entre eux, âgés de 5, 7 et 9 ans, vivent ainsi chez leur père. La mère a confié la petite dernière de la fratrie, I., âgée de 2 ans et demi, à des proches et refuse de dire où elle se trouve.

Condamnée en avril à dix mois de prison avec sursis pour non-représentation d’enfant, Sophie Abida a l’obligation de rendre la fillette à son père. Près de deux mois plus tard, elle ne l’a toujours pas fait et risque donc la détention.

« Je peux être arrêtée mais je ne remettrai pas ma fille », assure-t-elle. « Je n’ai fait que protéger mes enfants. Mais en France, quand une mère veut les protéger de l’inceste, elle peut perdre ses enfants, les voir confiés à leur agresseur et aller en prison. »

Le père dément en bloc les violences sexuelles
Si le père reconnu des violences physiques, pour lesquelles il a écopé d’un rappel à la loi et d’un stage de parentalité, il conteste les allégations d’inceste.

Auprès de BFMTV.com, Bertrand Lebailly, l’avocat du père des enfants, dénonce des accusations « complètement fausses et mensongères ».
Il ajoute que ce qu’affirme Sophie Abida « n’est pas confirmé par les enfants », que « leurs propos ont varié selon leurs interlocuteurs » et rappelle le classement sans suite d’une première plainte à son encontre. « L’enquête a conclu à l’absence d’infraction, la justice a donné raison à mon client. »

« Beaucoup d’éléments sont truqués, falsifiés », abonde pour BFMTV.com Agathe Denis, qui représente également le père. « L’histoire n’est pas celle qu’on vous raconte sur les réseaux sociaux. »
Si elle reconnaît « quelques tapes et quelques fessées » du père sur les enfants par le passé, en ce qui concerne les violences sexuelles, elle assure que « l’enquête a démontré qu’il n’a rien fait ». Et dénonce une « manipulation » des enfants par leur mère.

Enregistrements et auditions
Sophie Abida estime pourtant avoir des preuves. Un signalement pour violences sexuelles d’un des enseignants des enfants, un autre du même type émis par le CHU d’Orléans, et de multiples déclarations des petits. Elle affirme que J., sa fille de 5 ans, lui a confié que son père lui aurait « mis le kiki dans la bouche ». « Il a mis le pipi dans ma bouche », répète-t-elle dans un enregistrement sonore réalisé par la mère que BFMTV.com a pu écouter. « Il dit qu’il faut le dire à personne », ajoute l’enfant.

Des propos à mettre en perspective avec un autre enregistrement – Sophie Abida avait placé un micro dans le doudou de sa fille lorsque cette dernière était chez son père. Dans ce document consulté par BFMTV.com, on entend un homme entrer dans la chambre de l’enfant en pleurs. La fillette lui dit: « je veux pas, je veux pas », « j’ai mal ». L’homme répond: « chut, je vais te faire un massage ».

Lors d’une audition devant les policiers, l’aîné de la fratrie raconte avoir une nuit aperçu son père se livrer à des attouchements dans la chambre de son frère et de sa sœur.

Dans un récit détaillé, il dit ensuite avoir été surpris par son père qui lui demande de retourner se coucher. « Quelques minutes après, papa est venu dans ma chambre pour me toucher le zizi et mes fesses », relate-t-il, selon le procès-verbal de l’audition. « Il a baissé mon pantalon et m’a mis son zizi dans ma bouche. »

Pour la juge, « aucun élément objectif »
Sophie Abida a porté plainte à plusieurs reprises contre le père – deux de ces procédures ont été classées sans suite. En septembre 2022, elle saisit le juge aux affaires familiales pour suspendre ses droits de visite et d’hébergement et décide de ne plus lui remettre les enfants. Ce dernier dépose plusieurs plaintes pour non-représentation d’enfant.

Sur la base d’un rapport d’expert psychologique qui « s’interroge sur le fonctionnement familial du côté maternel » et « sur la capacité par la mère à faire passer les intérêts de ses enfants avant les siens » – bien que l’expert n’ait rencontré ni la mère ni les enfants – la juge aux affaires familiales a conclu en janvier qu’ »aucun élément objectif et extérieur » n’accréditait les faits dénoncés par la mère et les enfants, évoquant une « instrumentalisation » de ces derniers.

« En réalité, madame Abida a tout fait pour échapper à cette expertise, en ne consignant pas les frais d’expertise et en trouvant tous les arguments pour ne pas rencontrer l’expert », déplore pour sa part Bertrand Lebailly, l’avocat du père des enfants.

L’ordonnance de la juge aux affaires familiales relève par ailleurs que Sophie Abida a déjà été condamnée pour non-représentation d’enfant dans le cas de sa fille, née d’une précédente relation. Elle avait porté plainte contre le père pour « des faits d’agression sexuelle sur l’enfant et d’autres accusations (alcoolisme, stupéfiants) pour lesquelles aucune preuve formelle n’est rapportée », note la magistrate – la plainte a été classée sans suite.

« Mes enfants m’ont été arrachés »
« Les enfants ont parlé à plusieurs reprises, leurs propos sont toujours les mêmes et circonstanciés », dénonce Pauline Rongier, l’avocate de Sophie Abida, auprès de BFMTV.com. « Monsieur a reconnu des violences physiques mais sur la foi de cette expertise contestable, la garde a été accordée au père. C’est incompréhensible. »

Mi-février, lors d’une audience devant le tribunal, les enfants relatent à nouveau des faits de violences sexuelles. Mais la juge des enfants demande que la décision du juge aux affaires familiales soit appliquée et qu’ils soient immédiatement remis à leur père.

« Il n’y a aucun respect des droits de la défense », estime Pauline Rongier. « Une juge des enfants exerce son petit pouvoir en faisant appliquer la décision de la juge aux affaires familiales. On n’a jamais vu ça. »

Sophie Abida filme le départ de ses enfants à l’issue de l’audience et poste la séquence sur ses réseaux sociaux – ce qui lui sera reproché plus tard.

« Mes enfants s’agrippaient à moi, mon fils criait qu’il ne voulait pas aller chez son père, ils étaient en détresse, c’était horrible », assure-t-elle. « Ils m’ont été arrachés des bras par le service de sécurité. »

Garde à vue et détention provisoire
Les enfants déménagent, changent de département et d’école. « C’est une rupture totale, ils ont tout quitté du jour au lendemain », s’inquiète leur mère. « Leurs copains, leurs activités sportives et même leur suivi psychologique que j’avais mis en place. »

Des visites sont mises en place via une association. Mais Sophie Abida n’en bénéficiera pas longtemps. La dernière a lieu le 29 mars. « Au bout de vingt minutes, une personne de l’association leur a demandé de partir », se souvient-elle. « Quatre policiers sont arrivés et m’ont arrêtée sous leurs yeux. Ils ont tout vu. Je revois encore leur regard. »

Sophie Abida est alors placée en garde à vue pour la non-représentation de la petite dernière, I. « Je pensais qu’on allait m’interroger sur ma fille, mais toutes les questions tournaient autour de mes réseaux sociaux », relate-t-elle. Notamment de la fameuse vidéo tournée au tribunal.

La mère est également accusée d’avoir envoyé des messages malveillants et d’avoir harcelé une magistrate. « Je n’ai harcelé personne, ce sont mes abonnés qui ont écrit au tribunal » après la publication de la vidéo, se défend-elle. « C’est l’exercice de la liberté d’expression », rétorque son avocate Pauline Rongier, qui dénonce même « une affaire d’ego ».

« En France, on ne protège pas les enfants »
Après trois semaines en détention provisoire et en grève de la faim, Sophie Abida est finalement libérée mais condamnée à dix mois de prison avec sursis. Les visites programmées avec ses autres enfants ont été annulées. « On se fout complètement de mes enfants, on brise leur vie et on préfère qu’ils soient victimes d’inceste plutôt qu’un juge reconnaisse son erreur. » « On se bat contre un mur », regrette Pauline Rongier.

Dans cette affaire, « la justice fait tout à l’envers », s’emporte Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), qui a pris position en faveur de Sophie Abida. « Les enfants n’ont jamais accusé leur mère de violences », réagit-elle auprès de BFMTV.com. « Et c’est celle qui essaie de les protéger qu’on incarcère. »

« Bien sûr qu’il y a la présomption d’innocence pour le père, mais la présomption de protection des enfants devrait primer », estime-t-elle.
Emmanuelle Piet assure que l’histoire de Sophie Abida est loin d’être exceptionnelle. « Des situations comme celle-là, avec des enfants obligés de voir un père accusé de viol, j’en ai trois par jour » – le CFCV gère la ligne d’écoute sur les violences sexuelles faites aux enfants.

« En France, on ne protège pas les enfants. Il faudrait pourtant impérativement appliquer un principe de précaution, on ne peut plus continuer de prendre le risque de les exposer à des violences. »
« On nous traite de manipulatrice alors qu’on perd tout »
Durant sa détention provisoire, Sophie Abida a un temps envisagé de mettre fin à ses jours. « Je me suis dit que ça ne servait plus à rien, que même si je sortais, le cauchemar allait continuer. » Mais elle a aujourd’hui décidé de se battre. « Je vais très mal. Au quotidien, je survis. Mais il faut que je continue, pour mes enfants. »

En plus d’avoir fait appel de la décision de placement des enfants, d’autres procédures ont été lancées, notamment pour faire reconnaître la faute commise par l’État en ordonnant le transfert des enfants chez leur père.

« On nous traite de manipulatrice, on nous accuse d’instrumentaliser nos enfants alors qu’on perd tout: notre intégrité, notre santé mentale et physique et nos enfants. La conséquence, c’est qu’on invisibilise les violences sexuelles commises sur les enfants », se désole Sophie Abida.

Bertrand Lebailly, l’avocat du père des enfants, rappelle que cette dernière a « systématiquement perdu devant tous les juges devant lesquels elle a comparu » et qu’elle a été déclarée « coupable » devant le tribunal correctionnel.

« Elle perd tous ses recours et reporte le procès sur la sphère médiatique », plaide-t-il.
Les deux avocats du père des enfants ajoutent que ce dernier fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative renforcée, ordonnée par la juge des enfants. « Les enfants rencontrent un éducateur de l’ASE (aide sociale à l’enfance, NDLR) chaque semaine qui fait le point avec eux et s’assurent qu’ils sont en sécurité et que leur prise en charge est adaptée. »

Chaque année, quelque 160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles, selon le dernier rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Soit en moyenne 438 enfants par jour. « L’impunité dont bénéficient les agresseurs sexuels s’appuie notamment sur le déni massif dont les violences sexuelles faites aux enfants font l’objet dans notre société depuis toujours », écrit la Ciivise.

Dans un précédent avis, la Commission évoquait déjà le cas de mères condamnées pour avoir cherché à protéger leurs enfants lorsque des violences sexuelles étaient révélées et appelait à « en finir avec la présomption de culpabilité des mères ». « Cette réalité interroge l’autorité judiciaire dans sa capacité à protéger les enfants efficacement. » Moins de 7% des plaintes aboutissent à une condamnation de l’auteur.

La ligne d’écoute sur les violences sexuelles faites aux enfants est joignable au 0 805 802 804 en métropole ou au 0 800 100 811 pour l’outre-mer. Appel anonyme et gratuit du lundi au vendredi de 10 heures à 19 heures.

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