Myriam Badaoui, entendue comme témoin, est arrivée libre à la barre, par une porte dérobée.
La tête couverte d’un foulard – qu’elle n’a pas eu à ôter -, vêtue d’un survêtement gris, la femme de 46 ans a beaucoup changé depuis sa condamnation, en 2004, à quinze ans de prison, pour les viols, agressions sexuelles, proxénétisme et corruption de mineurs de ses quatre garçons et des huit autres petites victimes officielles, absentes à ce procès. Libérée aux deux tiers de sa peine, elle a considérablement maigri. Mais le public n’a pu se faire une idée sur sa coupe de cheveux.
« Ce jeune homme, je ne le connais ni d’Eve ni d’Adam » commence-t-elle, sans lancer le moindre regard à son fils Jonathan, assis juste derrière elle. Dimitri, l’enfant qui a dévoilé les horreurs le premier, est malheureusement absent, tout comme Chérif.
« Je ne le connais pas. (…) Aujourd’hui je suis différente, je n’ai plus envie de mentir. (…) Si j’avais été saine d’esprit, avec un avocat plus compétent, j’aurais dit moins d’âneries, se justifie-t-elle longuement, expliquant que Daniel Legrand avait voulu la piéger avec sa lettre sur le meurtre, lettre que le juge Burgaud lui aurait lue avant sa confrontation avec lui.
Dans sa lettre d’aveux, Daniel Legrand avait en effet donné beaucoup de détails sur la réalité des faits. Le point des débats porte donc essentiellement sur le fait de savoir si Myriam Badaoui avait pu s’en servir pour faire à son tour des révélations identiques. Badaoui, qui décidément doit avoir des dons divinatoires, donne une raison étonnante, spontanément, sur ce point qui a mobilisé les questions du président et des avocats de la défense.
« Le juge m’a fait parler en premier, Daniel Legrand a été très étonné ».
Si j’ai parlé, « c’est peut-être pour que le juge prenne conscience que j’avais menti », déclare-t-elle.
« Par amour pour mes enfants, je ne veux plus mentir » affirme-t-elle dans un sanglot.
Le président la questionne sur son mariage, en 1992, avec Thierry Delay. Mais il évoque à peine son union précédente, en Algérie, où Myriam Badaoui, alors enceinte de Chérif, a abandonné sa fille aînée. Elle ne parlera pas une seule fois cette enfant, que le président semble aussi ignorer.
Elle s’est mariée en 1992 avec Thierry Delay. Dimitri était déjà né, et Chérif a été reconnu par son mari à ce moment.
« Au début tout allait bien puis ça s’est dégradé. J’ai fait placer Chérif dans une famille d’accueil puis j’ai demandé le placement pour les autres. J’ai parlé à l’école et aux services sociaux des violences du père ».
Les enfants seront placés en février 2000. « J’avais demandé avant. Les enfants revenaient à la maison, mais à un moment, je ne voulais plus » a-t-elle dit.
Fin 2000, un signalement est enfin fait. « Mais je n’ai pas dit exactement les faits », précisant cependant qu’elle avait averti l’instituteur concernant Dimitri.
« Quand vous avez demandé le placement, vous ne craigniez pas que les faits soient révélés ? la questionne le président.
– Il fallait que ça se termine,
-Pourquoi avez-vous ensuite contesté les faits ?
-Je ne sais pas, j’avais très peur ».
La peur de ce mari violent revient souvent dans les propos de Badaoui.
« C’est comme s’il arrivait à commander ma tête ».
« Quand il y a eu la perquisition, ils ont découvert tout (les cassettes, ce qu’il y avait dans l’autre pièce) (…). J’aurais jamais dû épouser cet homme, j’étais bien avec mon fils »,
Le président lui demande de parler de ce Noël 1996, quand auraient commencé les faits. « Quand le juge vous entend, le 2 mai 2001, vous livrez beaucoup de détails de scènes, vous évoquez un homme qui vend des cassettes pornographiques »
– C’était un mensonge, dit-elle. Delay allait seul au sex-shop. Moi je n’y suis allée que deux fois.
– Vous avez décrit des scènes précises, avec des mots crus, où Daniel Legrand père vous viole pendant que son fils tient le magasin ».
– C’était un pur mensonge, affirme-t-elle, sans préciser les raisons de ce « mensonge » .
– Vous avez évoqué des mises en scène des enfants pour faire des films, et des sommes d’argent précises (…). Vous dîtes alors qu’il faut retrouver l’homme du sex-shop mais vous ne donnez pas de nom.
– Je ne sais pas comment expliquer cela.
– Vous souvenez-vous d’un témoin que vous reconnaissez comme l’homme du sex-shop ?
– Non.
On lui montre une planche photo, sur laquelle avait déjà reconnu l’homme du sex-shop, mais cette fois, ça ne lui dit rien.
« Aujourd’hui vous dîtes que vous n’étiez que quatre accusés, pourquoi avoir mis en cause les autres ?
-Pour la première fois de ma vie j’avais un homme (le juge d’instruction) qui m’écoutait, en qui j’avais confiance (…). Je ne suis pas la seule à avoir menti. Aurélie Grenon aussi. Mais le juge ne m’a pas aidée car ça ne tenait pas debout, affirme-elle. Je ne voulais pas décevoir ces gens ».
« Vous allez beaucoup écrire au juge et parlé des faits en Belgique
– Le juge m’avait parlé du jeune homme
– Non ! la coupe le président, pas à ce moment-là !
Il poursuit :
« Le 28 mai vous évoquez la première fois la piste belge au juge des enfants. Vous lui dîtes que Dimitri y est allé plusieurs fois avec un photographe « Emmanuel », qu’il était « fort abîmé au derrière ».Pourquoi ne pas avoir parlé d’Emmanuel au juge d’instruction ?
– Je ne sais pas ».
Le président enchaîne ses questions sur le rôle du juge d’instruction.
« Vous a-t-il laissé entendre que vous sortirez ?
– Non, juste que je pourrais voir mes enfants.
– Vous écrivez que vous regrettez tout mais que vous ne paierez pas pour quelque chose que vous n’avez pas fait, pourquoi ?
– Le juge m’avait dit qu’il avait fait sortir Aurélie Grenon parce qu’elle avait parlé.
– Ce pourrait être une manipulation, une façon de forcer le juge, car vous ne le faites pas qu’une fois. Vous rajoutez d’autres noms, l’homme du sex-shop, Sandrine. (…)
En juin, vous suppliez le juge de vous faire sortir. Vous écrivez « est-ce que vous faites des promesses à tous ceux qui vous ont comme juge ? ».
– Je ne m’en souviens plus.
– Vous citez avec insistance l’homme du sex-shop…
Badaoui ne répond pas, et essuie ses larmes.
Sur l’interrogatoire du 27 août, au cours duquel Badaoui a évoqué la Belgique, elle affirme que le juge Burgaud lui en avait parlé, que les enfants avaient décrit des bâtiments, et qu’elle n’a fait qu’approuver.
Mais le président précise qu’à ce moment, les enfants n’avaient encore rien décrit.
–Vous avez dit « on est allés quatre fois en Belgique avec le taxi Martel, il y avait Dimitri, Jonathan, et Mathieu Martel ».
– je n’y suis jamais allée, affirme-t-elle.
– Comment avez-vous raconté n’importe quoi qui a l’air de tenir ? , demande encore le président.
– Les enfants avaient parlé, comme me l’avait dit le juge.
– Pourtant, ça n’apparaît pas dans les PV.
– Vous parlez du taxi qui emmène les cassettes à Daniel Legrand
– Je ne sais plus. La vérité c’est que j’ai menti, se justifie encore Badaoui.
– D’où sortent ce nom que vous citez ? Ce n’est même pas Dimitri qui en parle. (…)
– J’en ai peut-être entendu parler. J’en sais rien.
– C’est problématique car c’est vous qui en parlez la première.
Badaoui se tait, comme à chaque foi que la question l’embarrasse.
– Vous parlez de la boulangère qui cachait les cassettes dans des sacs de chips (…). Vous donnez des détails sur les lieux, les protagonistes. Vous dîtes : «on allait dans la maison du propriétaire de sex-shop, Daniel Legrand qui en fait s’appelle Dany Legrand »
– On m’a montré des photos, se justifie-t-elle.
« Des fois je disais la vérité, mais le juge Burgaud n’était pas content et tapait du poing sur la table », raconte-t-elle.
Le président fait immédiatement acter que lors de l’interrogatoire du 27 août 2001, Badaoui déclare que « Le juge Burgaud (lui) a montré des photos, il (lui) avait parlé d’un Daniel Legrand, « je ne sais plus pourquoi peut-être des vols ».
– Ensuite, enchaîne le président, vous écrivez beaucoup au juge, vous ne parlez plus de « l’homme du sex-shop », mais de Daniel Legrand. Vous écrivez : « Je vais vous parler de Daniel Legrand, dit Dada. Il tient un magasin d’électroménager »
– Daniel Legrand ne fait pas partie de tout ça.
– Tout quoi ? Ca a existé ?
– Non.
Le président poursuit sur cette longue lettre où Badaoui précise des scènes dans la ferme de Belgique : « Il y avait des adultes et des enfants (…). Un homme louait les locaux à Daniel Legrand ».
« D’où sortez-vous tout ça ?
– Je ne sais plus.
– Vous dîtes « Daniel Legrand était partout, il avait une voiture rouge », vous donnez même la marque.
Badaoui se tait.
« Réentendue, continue le président, le juge semble avoir des doutes. Ne cherchiez-vous pas à inventer des faits, en rajouter, mettre en cause Marécaux pour vous venger ? demande le président.
– Non, au début, il ne fallait pas que j’en parle, comme la Belgique. D’autres huissiers sont venus chez moi et je ne les ai pas cités ».
« On vous montre un album où vous reconnaissez Daniel père, fils et un autre. Est-ce cela ?
Badaoui regarde l’album et affirme qu’elle en a vu un autre.
« Vous dîtes alors que c’est Daniel Legrand qui tient le sex-shop. Vous parlez d’un réseau.
Lors de la confrontation devant le juge d’instruction, vous confirmez que Daniel Legrand fils était bien présent. Vous décrivez des scènes où les enfants sont violés par Daniel Legrand fils, en présence de son père, et qu’il filmait. (…)
Vous dîtes que les faits ont commencé en 1996. Daniel Legrand avait 15 ans, poursuit le président.
Il relit la déposition de Badaoui de l’époque, très crue, où elle raconte que le père avait une relation sexuelle avec elle pendant que le fils tenait le sex-shop.
« Vous dîtes alors : « je vois le regard de mes enfants qui me suppliaient ».
Badaoui ne répond pas.
Le président poursuit sur le meurtre que révèle Daniel Legrand fils du fond de sa prison.
« Quand Daniel Legrand va reconnaître les faits, quelle a été votre réaction ?
– Je me suis dit qu’il avait eu des pressions ».
Badaoui nie ensuite qu’il y a eu d’autres enfants victimes que les siens, remettant ainsi en cause la chose jugée ; que tout s’est passé chez elle.
« Non, je ne connais pas ce jeune homme, il ne venait pas à la maison », a-t-elle répété.
M°Cormier, avocat de Jonathan, a demandé au témoin de préciser des points, notamment sur le fait que les viols des enfants étaient filmés.
-Il voulait tout filmer, dit Badaoui.
« Ce qui est déroutant, ce sont les détails des faits que vous décrivez, et qui sont corroborés, par exemple la ferme qui appartient bien à un jeune agriculteur belge ; le hangar vide avec un matelas au milieu.
– C’est de la pure imagination, affirme Badaoui.
« Sur le meurtre, le juge vous a demandé si vous ne mentez pas pour lui faire plaisir. Pourquoi maintenir ? »
Elle ne répond pas.
-Vous mettez tout le monde hors de cause puis vous revenez sur ce que vous avez dit. « Il faut croire la parole des enfants » avez-vous dit.
– C’était à mon retour de procès. En détention, les femmes m’ont fait des reproches car j’avais traité les enfants de menteurs.
– Vous dîtes que Daniel Legrand vous a tendu un piège ?
– C’était pour faire comprendre au juge que quelque chose n’allait pas.
– C’est bizarre. C’est mot pour mot le discours de Legrand pour expliquer ses aveux.
L’avocat général prend la parole au sujet de cette lettre, peu précise, qui aurait servi de support aux « mensonges » de Badaoui.
Badaoui donne des réponses embrouillées et M° Reviron demande au président d’acter :
« Je me souviens à propos du meurtre de la petite fille que lorsque je suis rentrée du bureau du juge, il m’a demandé s’il y avait eu un meurtre. J’ai dit que je ne me souvenais pas. Il m’a dit que Dimitri en avait parlé. Je lui ai dit que je ne savais pas. J’ai dit des choses inexactes, ensuite le juge m’a lu la lettre. Je suis repartie en détention et ensuite il y a eu une confrontation avec Daniel Legrand. Lors de cette confrontation, je me suis inspirée de ce qui avait été dit pour donner la même version ».
M° Cormier a repris la parole : « C’est surprenant. Vous faites plaisir au juge, puis aux accusés, puis aux co-détenus. Aujourd’hui, à la barre, vous innocentez Daniel Legrand. Votre discours est à géométrie variable selon à qui vous voulez plaire.
-Aujourd’hui, je veux juste demander pardon, s’est justifiée Badaoui.
– Pardon à qui, à Daniel Legrand ou à vos enfants ? demande M° Reviron.
L’avocat est incisif, il accule Badaoui dans ses contradictions.
« Vous avez employé le terme réseau, y en a-t-il ?
– Il n’y a pas de réseau.
– Vous êtes sortie du bureau du juge et vous avez croisé une dame d’Angers. Ça vous parle ?
-…
-Vous dîtes qu’elle fait partie du réseau. Savez-vous ce qu’il s’est passé ?
– Je ne sais plus
– Ca vous arrange. Cette dame fait partie d’une famille où les trois garçons ont été condamnés. C’est une vérité judiciaire. Comment avez-vous deviné ? »
-…
L’avocat la met encore devant ses contradictions lorsque, fin décembre, le juge des enfants lui avait donné les motifs de sa décision de retrait de garde de ses enfants.
– Vous connaissiez les motifs ?
– Oui, des viols
– Mais vous écrivez au greffe, téléphonez au commissariat pour dire que c’est impensable. Or vous nous dîtes que vous faisiez un appel au secours. Vous auriez dû être soulagée que les enfants parlent.
-…
– Dès que c’est ennuyeux, vous vous taisez, remarque M° Reviron.
– Devant le juge des enfants, vous avez fait des déclarations, et associé les enfants de Wimereux (où vit Daniel Legrand), Priscilla, et un départ en Belgique. Devant le juge d’instruction, vous dîtes que Daniel Legrand est de la famille de Priscilla et qu’il a une voiture rouge. Or, à ce moment, on ne sait rien.
M° Reviron l’accule encore lorsqu’il lui demande d’où provenait l’argent pour acheter une salle à manger et un camescope.
« A quoi servait le camescope ?
– Je ne sais plus. Je filmais des choses, pas ce que vous croyez.
– Que sont devenues les cassettes ?
– Je ne sais pas ».
« C’est vous qui parlez d’un Daniel Legrand avant tout le monde, et qui reconnaissez sur les photos qui est le père et qui est le fils. Le juge vous a-t-il dicté quelque chose ?
L’avocat insiste face au silence du témoin.
– Je ne veux pas répondre, finit-elle par lâcher.
« Comment expliquez-vous que lors de votre déposition, en présence de votre avocat, vos déclarations sont concordantes avec celles de Daniel Legrand ?
– Il n’y a pas eu de meurtre, se contente de répondre Badaoui ».
Les trois autres avocats de la partie civile ont posé des questions.
M° Forster a notamment demandé pourquoi les enfants auraient menti sur la présence de Daniel Legrand.
Encore une question restée sans réponse.
Le président a ensuite accordé à Jonathan le droit de s’approcher de sa mère et de lui faire face, car elle refusait de se retourner.
Il lui demande de confirmer ses dires devant lui, mais elle continue de nier.
« J’ai 46 ans. Cette affaire date de 15 ans sans compter les années où vous avez souffert. J’ai fait le maximum pour vous » lui répond sa mère, en apparence éplorée, sans profiter de l’occasion pour demander pardon.
Isa T.