Coline Berry accuse Richard Berry, son père, d’inceste. Elle s’est confiée en exclusivité à franceinfo. Elle explique le besoin « physique, vital » de porter plainte, et la difficulté qu’il y a à dénoncer « une personne qu’on aime ».
C’est la première fois qu’elle prend la parole depuis la révélation de l’affaire : Coline Berry-Rojtman, fille aînée de Richard Berry, a déposé plainte le 21 janvier contre son père pour « viols et agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par ascendant et corruption de mineur ». Lorsque nous la rencontrons au cabinet de son avocate, Karine Shebabo, Coline Berry-Rojtman est assise à côté de sa mère, la comédienne Catherine Hiegel. Si l’une aime la scène et la lumière, l’autre a toujours fui les projecteurs et la notoriété. Cette femme de 45 ans, maman de trois enfants, a fait des études de philosophie, avant de devenir agent d’artistes. Elle paraît sereine, posée, déterminée dit-elle « à enfin se délester de ce si douloureux secret de famille ».
Coline Berry-Rojtman accuse son père d’inceste, lorsqu’il vivait avec la chanteuse Jeane Manson, de 1984 à 1986. Richard Berry dément, et dénonce « des mensonges, des accusations immondes ». Coline explique avoir participé à des jeux sexuels du couple à de multiples reprises. Des faits prescrits. Coline Berry-Rojtman a été entendue par les policiers de la brigade des mineurs de Paris jeudi dernier pendant près de sept heures. Ce qu’elle ne dit pas, par pudeur, ce sont les années de troubles du comportement alimentaire dont elle a souffert –anorexie, boulimie–, les violences conjugales dont elle a été témoin enfant. C’est aussi, dit-elle, pour la « petite Coline » qu’elle a finalement choisi de porter plainte contre son père.
franceinfo : Comment la décision de porter plainte contre votre père, Richard Berry, a-t-elle fait son chemin ?
Coline Berry-Rojtman : Il y a plusieurs périodes de ma vie où j’ai pensé faire cette démarche, des moments où, évidemment, ce n’était pas du tout prescrit.
Qu’est-ce qui vous en a empêché ? La peur de votre père ?
J’ai toujours eu très peur de mon père, ça, c’est sûr, de sa violence, de beaucoup de choses. Oui, la peur de faire du mal à d’autres que soi. Pas qu’à mon père, à ma famille, à mes grands-parents. Ma grand-mère me disait d’attendre qu’il soit mort, parce que voilà, on fait tout exploser. J’avais bien conscience de tout ce que ça implique. Et il y a eu des moments de ma vie où j’ai plus ou moins réussi à gérer certains traumatismes, mais qui se sont ravivés de façon plus aiguë à d’autres périodes. La lecture du livre de Camille Kouchner [La Familia Grande, à l’origine de l’affaire Duhamel et d’une libération de la parole en France sur l’inceste] et la réaction de mon père, face à moi : cela a été l’alignement, l’addition. Cela a été le moment où moi, dans ma vie, avec tout le passé de souffrances, toutes les tentatives que j’ai faites auprès de lui, en privé, depuis des années, sans que je ne change quoi que ce soit de version dans ce que j’avais à lui reprocher, c’est arrivé. Voilà. Je l’ai ressenti physiquement, c’est-à-dire que c’était ça ou j’en crève, en fait.
Dénoncer celui qui doit nous protéger, c’est extrêmement difficile à faire. Est-ce que vous avez été prise dans cette ambiguïté-là ?
Totalement. Quand on dit qu’on va dénoncer, on a l’impression, et c’est aussi ce que votre entourage vous renvoie, qu’on va faire du mal, en plus à une personne qu’on aime. Ce n’est pas un étranger qui vous a agressé que vous dénoncez. Et en même temps, quand ce cheminement est arrivé à un aboutissement, avec le dépôt de cette plainte, finalement, le mal que cela m’a fait et que cela continue de me faire, est devenu… C’était vital. Peut-être, oui, que ça va lui faire du mal. Encore que j’estime que j’apporte de la réparation dans la famille, et pour les générations futures. Mais c’est surtout que le mal que moi, ça m’a fait est devenu plus fort que celui que j’avais peur de lui infliger.
« Je sais que je dénonçais encore plus que les faits. Je dénonçais l’image qu’il s’est construite. En plus, de par sa notoriété, j’allais rendre les choses forcément publiques. »
Coline Berry à franceinfo
Ma plainte, je savais qu’elle n’allait pas être passée sous silence. J’exposais aussi ma famille, mes enfants, à une médiatisation qui est lourde à porter. Mais les effets secondaires négatifs sont moins importants que le bénéfice que je pense être à l’issue de cette démarche.
Vous avez porté plainte en sachant bien évidemment que les faits étaient prescrits. Dans cette enquête préliminaire qui est ouverte, vous avez été entendue la semaine dernière à la brigade des mineurs. Qu’est-ce que vous attendez de cette plainte ? Vous savez qu’elle sera classée sans suite, très vraisemblablement, puisque les faits sont prescrits.
J’en attends plusieurs choses. Ça fait partie des motivations qui ont déclenché le dépôt de cette plainte : j’ai besoin de la reconnaissance des faits. Je n’ai jamais eu besoin qu’elle s’effectue soit par un procès, soit par un rapport privé entre mon père et moi. Ce que je veux, c’est la reconnaissance. Cela ne m’apporterait rien qu’il soit condamné. J’ai simplement besoin que la réalité, la vérité soient mises en face, que la loi soit mise en face de ce que j’ai vécu. C’est vrai que, portée par Camille Kouchner, je me suis dit qu’en plus, ce sont les avantages et les inconvénients d’avoir un père célèbre, je peux permettre, de par le fait que c’est quelque chose qui se montre sur le devant de la scène, de donner le courage à d’autres de prendre la parole. Pour pointer au niveau de la société le besoin qu’on a, nous les victimes, de s’exprimer. Ce besoin, surtout dans des cas d’inceste, il ne vient pas forcément au moment des faits.
« Quand je pense à mon père, il y a toujours… Ce sont des émotions bouleversantes à chaque fois. Il y a l’amour que je lui porte et il y a le dégoût, la colère. Tout est mêlé, en même temps, ce n’est pas noir ou blanc. »
Coline Berry à franceinfo
Parfois, c’est compliqué et il faut pouvoir poser les mots par écrit, avoir une certaine distance pour réussir à dire ce qu’on a vraiment à dire. On a eu des échanges. Soit il minimise [les faits], en les considérant comme anecdotiques. Soit il considère que c’est de la faute de Jeane Manson, dont il aurait subi la liberté sexuelle. Ou alors je suis traité de folle. Enfin, ça dépend : il a pris plusieurs postures différentes. En tous les cas, j’ai vu par rapport à toutes les tentatives que j’ai faites avec lui, quelle que soit la posture qu’il avait, je n’arrivais jamais à la reconnaissance des faits. Ce déni, c’est encore une destruction qui vient s’ajouter à la déchirure que je vis depuis toutes ces années.
Est-ce que le fait d’avoir déposé devant les policiers de la brigade des mineurs a été un moment pour vous important ?
Bien sûr. On « dépose », c’est-à-dire que je me sente délestée de quelque chose, déjà. Je suis même heureuse et contente qu’il puisse y avoir une enquête sérieuse, pointilleuse. C’est peut-être très candide, mais je suis sereine et ça m’a apaisée. Je suis complètement soulagée. Parce que justement, c’est une souffrance, iIl n’y a pas de raison à un moment donné qu’on ne puisse pas se délester de ça sous prétexte que l’on n’est pas dans le bon nombre d’années parce que la loi n’est pas rétroactive. Il y a aussi une forme d’injustice. À un moment, il y a une révolte et une colère qui a été plus forte chez moi. Ça s’est joué, ce moment-là, avec la publication du livre et les messages de mon père qui ont tout déclenché.