De notre envoyé spécial.
à Bergerac.
DANS ce pavillon cossu du 52, rue du Combal, aux portes de Bergerac, rien ne sera plus comme avant pour les Vidal. Quand lui, André, proviseur de lycée, parle de «l’affaire», il vous regarde droit dans les yeux. Paulette, son épouse, elle, perd progressivement la vue. Ses rares interventions, dans le récit détaillé de tout ce qu’ils ont enduré pendant trois années, marqué par une tentative de suicide et les dépressions à répétition de leur fils cadet, sont pour stigmatiser «le criminel», parfois «le pédophile».
Le criminel, précisément, habitait à deux pas, au numéro 46. C’était leur collègue, leur ami, le parrain de leur petit dernier. Celui qui avait insisté pour qu’ils viennent s’installer au pied des collines de Monbazillac, dans un dernier bout de campagne tranquille avant les faubourgs de la ville…
Un salaud
fascinant
Le 16 mai dernier, André Garric, soixante ans, père et grand-père, professeur de mathématiques au collège Henri-IV, l’établissement public le plus huppé de cette sous-préfecture d’à peine 30.000 habitants, a été condamné par la cour d’assises de la Dordogne, à douze ans de réclusion criminelle. Il a été reconnu coupable du viol de Céline, l’aînée des Vidal, âgée de huit ans quand son calvaire a commencé, douze ans plus tôt. Le professeur Garric est retourné en prison. En février 1993, il avait déjà été condamné à six ans d’incarcération pour attentat à la pudeur sur Frédéric, le frère cadet de Céline. «Je sais que je suis un salaud», a lâché le coupable dans son ultime plaidoyer devant le tribunal.
Mais est-ce bien ce criminel-là qui se cache derrière ce «meurtre social», cet «assassinat psychologique» dont vous parle André Vidal. Dix jours après le procès public, et malgré les détails sordides qui y furent révélés, il n’y a pourtant guère de monde à Bergerac pour dépeindre André Garric comme un «criminel»… Cette artiste peintre à l’accent d’Ottawa, serveuse dans un restaurant du centre-ville pour arrondir ses fins de mois, se dit certes «choquée», mais ne veut pas se «prononcer» faute d’avoir vraiment «suivi cette histoire». «Vous savez, dans ces cas-là, on se demande toujours s’il y a bien eu crime», lance un jeune rugbyman rencontré dans un café.
Charmant, séduisant, fascinant! Ces qualificatifs reviennent dans la bouche de tous ceux qui l’ont approché, de près ou de loin. «Le meilleur prof de math que j’ai jamais eu, s’exclame Fanny Negrerie, l’une de ses anciennes élèves, vingt et un ans aujourd’hui. Un homme au-dessus de tout soupçon, donc, cet André Garric. Mais est-ce suffisant pour expliquer «l’étrange climat» – selon l’expression d’un journal périgourdin – qui régna à Bergerac une fois les faits déballés sur la place publique? Certes, «l’affaire ne fit pas grand bruit, en tout cas pas plus que cela», disent de concert le patron d’un café de la place de la République et l’ouvrier de «la poudrerie», qui avait alors «d’autres chats à fouetter», 300 licenciements.
Pas de bruit, et cela a déjà allure d’événement dans cette petite ville où, à en croire Fanny, «le passage de MC Solaar au centre culturel, entre deux conférences sur le Népal ou l’île de Java, vous a tout de suite des airs de révolution». Pas de bruit, seulement des rumeurs.
Un étrange
climat
«On en a entendu des vertes et des pas mûres, raconte Céline Vidal. Moi, je n’étais qu’une petite traînée, une allumeuse, une menteuse. Mon père courait les femmes. Ou bien, il n’avait trouvé que ce moyen pour faire parler de lui en pleine campagne électorale (1). Ma mère, qui donnait des cours d’accordéon, avait bien sûr une vie dissolue. Nos parents nous laissaient à l’abandon, heureusement que Garric était là pour nous accueillir, s’occuper de mon frère et de moi…»
Ces rumeurs, disent les Vidal, ont contribué à les laisser «anéantis, brisés». Ici, où l’on entretient, en s’en moquant même, le culte de Cyrano, «les rumeurs» ou «les mauvaises langues», ce serait une spécialité locale. Remugles d’«un esprit commerçant aigri» d’après notre artiste peintre. A Périgueux, 50 kilomètres plus au nord, on évoque la tradition protestante du Bergeracois, qui s’accommoderait du secret. Pour relativiser on vous dit: «N’oubliez pas que nous sommes aux portes du sud, que tout le monde se connaît, et qu’il y a beaucoup de raisons de… s’ennuyer.» Quelqu’un – est-ce le syndicaliste de la SNPE? – parle lui de la «dilution des repères et des valeurs».
Mais cela peut-il expliquer cet étrange climat
(Suite page 9.)
Source: http://www.humanite.fr/node/105969