L'Express Bergerac: « Moi, Frédéric, violé par le prof »

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Pendant des années il a été victime d’André G., un ami de la famille. Déçu par la justice, atteint par trop d’indifférence Frédéric se révolte.

Par Remy Jacqueline, publié le

Frédéric Vidal a 15 ans, l’âge du lycée et de l’insouciance. Mais il n’a qu’une obsession: qu’on l’écoute, qu’on le croie, qu’on lui rende son enfance et son innocence. Comme des centaines d’autres enfants, il a été victime d’un pédophile qui, à Bergerac, avait fait de lui son jouet. Comme d’autres, il a mis des années avant de pouvoir raconter à ses parents l’indicible, sa honte et sa souffrance. Puis, comme d’autres aussi, il a attendu de la justice qu’elle restaure sa dignité. « Mais la justice a décidé que j’étais un menteur, dit-il, puisqu’elle n’a pas admis que j’avais été violé. Entre la parole du pédophile et celle de la victime, le tribunal a choisi la première. » Le 7 juillet 1993, André G. a été condamné en correctionnelle à six ans de prison pour attentats à la pudeur sur Frédéric, et également sur sa propre petite-fille.
« Mais il ne s’agissait pas de simples attentats à la pudeur, accuse Frédéric. J’ai été violé, pendant des années. » Le viol relève de la cour d’assises; les parents de Frédéric se sont pourvus en cassation. Pourvoi rejeté le 18 mai dernier.
Depuis, Frédéric va mal. Il ne parvient plus à affronter une salle de classe et doit prendre des médicaments pour brider sa détresse. Avec une obstination forcenée, ce garçon de 15 ans a décidé de se battre pour qu’enfin on le croie. Il a écrit au ministère de la Justice et à celui de l’Education. Le 7 décembre, un magistrat de la chancellerie lui a téléphoné pour lui dire qu’il n’était pas possible de remettre en question une décision de justice, qu’un procès aux assises n’était pas la panacée et que, peut-être, lui et sa famille pourraient envisager de commencer une nouvelle vie, ailleurs.
La détermination de Frédéric à faire triompher sa vérité s’explique simplement: outre les gestes du pédophile, cet enfant a eu à subir la loi du silence, imposée par cet homme de quarante-cinq ans son aîné, une loi que trop de gens, à Bergerac, n’ont pas hésité à relayer, préférant le doute au scandale, le secret au déballage public. Son agresseur était un professeur de mathématiques. Comme beaucoup de pédophiles, il avait la réputation d’être un excellent pédagogue. C’était un homme sympathique, bienveillant, au-dessus de tout soupçon, un notable. Pour avoir refusé de « laver le linge sale en famille », comme dit Frédéric, pour ne s’être pas contentés de la mutation proposée à l’enseignant en guise de sanction, les Vidal ont été montrés du doigt. Peu de gens ont compris qu’un enfant victime d’agression sexuelle a besoin que la justice dise la loi et le soulage d’un sentiment de culpabilité inévitable. Peu de gens veulent admettre que ce type de crime ou de délit est rarement accidentel: les pédophiles sont notoirement récidivistes. André G. sera jugé en 1995 par une cour d’assises pour le viol de Céline Vidal, la soeur aînée de Frédéric. Elle aussi, dès l’âge de 8 ans…
Entre la prison psychologique forgée par son agresseur et l’hostilité manifestée par le voisinage et certains notables, ce garçon de 15 ans a vécu un drame tristement exemplaire. C’est pourquoi nous avons estimé devoir publier son témoignage. Avec son nom et sa photo, à sa demande expresse.

- L’EXPRESS: Pourquoi tiens-tu si fort à t’exprimer publiquement?
- FRÉDÉRIC VIDAL: Je me bats, aussi, pour les autres victimes, pour toutes celles qui auront le courage de parler. Beaucoup n’ont même pas leurs parents à leurs côtés. Pourtant, il faut croire les victimes! J’ai été violé des centaines de fois, de 5 à 12 ans; c’est un crime, il me semble. Et la justice condamne G. pour attentat à la pudeur, simple délit prescrit au bout de trois ans! J’en conclus que je suis un exagérateur, ou alors je ne comprends pas. En plus, le procès s’est déroulé à huis clos, à la demande de l’accusé et du procureur, soi-disant pour me protéger. Moi, je voulais que ce soit public, pour faire comprendre aux gens de Bergerac que je ne mentais pas. Presque personne ne nous a aidés. On disait tantôt que j’avais provoqué G., tantôt que mes parents me montaient la tête. Dans le quartier, on ne nous parle plus. Encore l’autre jour, l’un de nos voisins m’a montré le poing.
- Pourtant, tu avais eu du mal, toi-même, à parler de tout cela.
- Je pensais que mes parents ne me croiraient jamais. G. était l’un des meilleurs amis de mon père. C’était un ancien collègue, prof de maths comme lui. C’était aussi un voisin. Il était même devenu le parrain de mon petit frère; on l’appelait Dédé. La première fois qu’il m’a touché, j’avais 5 ans. Quand ma grand-mère est morte, il a proposé à mes parents de me garder, car j’étais trop jeune pour aller à l’enterrement. Il s’y est pris progressivement, avec la main, puis avec la bouche. Les premiers temps, il n’allait pas plus loin. Il m’expliquait que ce qu’il faisait était normal. « Tout le monde le fait, disait-il, même ton père. Quand il donne ses cours particuliers, que crois-tu qu’il fasse d’autre? Mais c’est quelque chose dont on ne doit pas parler, un secret. » Après, quand un élève venait à la maison, je regardais par le trou de la serrure, mais mon père donnait toujours sa leçon. Je n’y comprenais rien.
- Puis cet homme a continué…
- Il a commencé à me sodomiser quand j’avais 7-8 ans. Il faisait ça dans son bureau, dans sa chambre, plus rarement chez mes parents, ou, souvent, dans le camping-car qu’il avait dans son jardin. Il me filmait et me photographiait. Il me montrait des photos d’autres enfants, des films qu’il avait tournés. On ne voyait jamais les visages. Un jour, j’ai surpris ma soeur qui sortait du camping-car. J’ai compris. Elle ne voulait pas en parler. Mais quand G. a voulu attirer mon petit frère chez lui, nous nous sommes ligués pour l’en empêcher. De temps en temps, j’avais envie de tout raconter. Mais il m’avait dit que mes parents étaient au courant et qu’ils étaient d’accord. Je n’osais pas leur demander si c’était vrai. Je me fiais à lui, sinon j’étais complètement perdu. Il m’a prévenu que nous irions tous deux en prison si je ne gardais pas le secret.
- Il te faisait des cadeaux?
- Au début, il me donnait des bonbons. Ensuite il m’a acheté une voiture télécommandée, qu’il me montrait mais ne me donnait jamais. Quand j’étais en CM 2, il a proposé des tarifs: 20, 50 ou 100 francs, ça dépendait de ce qu’il faisait. Il m’a dit aussi avoir déposé 16 000 et 13 000 francs sur des comptes en banque secrets pour Céline et pour moi. Et puis, il me faisait boire du rhum mélangé à de la bière ou de l’eau-de-vie. Il évitait la prune, parce que ça sentait. Il m’a habitué à boire. Maintenant, j’ai du mal à me délivrer de l’alcool. A mon entrée au collège, j’ai commencé à en avoir vraiment marre. C’était pénible. C’était souvent. J’avais 10 ans, et il m’emmenait en voiture, puisqu’il était prof dans ce collège, tandis que mon père était devenu le principal d’un établissement plus éloigné. D’ailleurs, il avait dit à mon père qu’il fallait faire attention aux pédophiles qui traînaient autour du collège. Il me donnait des cours particuliers à l’heure du déjeuner, dans une salle de classe dont il avait la clef: on n’a jamais travaillé. En cinquième, il est devenu mon professeur. Je commençais à résister. Une fois, pour me punir, il m’a mis une mauvaise note que je ne méritais pas. Ce jour-là, j’ai failli écrire une lettre anonyme à la police. Je commençais à sentir que ce n’était pas normal, mais je ne savais pas en quoi exactement. Et j’avais peur qu’on croie que j’étais consentant. Après tout, il ne me forçait pas physiquement, sauf quelques fois.
- Comment t’es-tu décidé à tout raconter?
- D’abord, j’ai commencé à dire à ma mère que je ne voulais plus aller chez lui. Mais il trouvait toujours un prétexte; il téléphonait à la maison: « Je suis en panne de café, est-ce que Frédéric peut m’en apporter? » Je refusais. Mais ma mère rouspétait. A cette époque, j’étais devenu indiscipliné. J’ai fugué, une fois. Je supportais de moins en moins. Un jour, il s’est fâché et a dit à mes parents qu’il ne voulait plus les fréquenter et qu’il ne pouvait pas leur dire pourquoi. Pendant un an, ma mère m’a harcelé: « Qu’est-ce que tu as fait à Dédé, pour qu’il refuse de nous parler? » Elle pensait que j’avais commis une grosse bêtise. De temps en temps, il passait en sifflotant devant la maison et je me planquais. Un jour, mes parents l’ont rencontré au supermarché et lui ont proposé un rendez-vous pour le lendemain. De retour dans la voiture, mon père m’a prévenu: « Si, demain, Dédé m’apprend quelque chose que tu ne m’as pas dit, je te fous une raclée. » Alors, j’ai parlé. J’avais 12 ans et demi.
- Comment ont-ils réagi?
- Au début, ils n’arrivaient pas à y croire. Il m’ont emmené chez un psychiatre, leur ami et celui de G. Le psy leur a confirmé que je disais la vérité. Mais il m’a conseillé de ne pas en parler à la police: « Sinon, ce soir, Dédé dort en prison et il ne voit plus sa femme et ses enfants. » Le psy a aussi rencontré G., sans penser qu’ainsi prévenu il ferait disparaître les photos et les films. Mon père a alerté le principal de mon collège; celui-ci lui a juste répondu qu’il ferait signer une demande de mutation à G. Ce principal dit du mal de nous, maintenant. Je lui en veux d’autant plus que je connais une dame qui, en 1981, lui avait signalé les gestes bizarres de G. sur sa fille: « Impossible, madame, c’est mon meilleur professeur », avait-il répondu. Quand mon père s’est décidé à porter plainte, une semaine plus tard, le vide s’est fait autour de lui. Même un député lui a téléphoné pour faire pression. Beaucoup d’enseignants ont pris parti pour G., de même que certains responsables d’associations de parents d’élèves, à titre privé. Et, finalement, c’est mon père qui s’est retrouvé muté contre son gré dans un autre département – il était trop « déstabilisé », paraît-il, pour rester à Bergerac – et sa notation est passée de A à D. Moi, pas un de mes copains de classe ne m’a fait signe. Mais le pire, ce fut notre première avocate. Au bout de quatre mois, elle a demandé à me parler en tête à tête. Mes parents sont sortis. Elle m’a dit: « J’ai réfléchi, Frédéric. Au fond, tu as trouvé du plaisir dans cette histoire. Ce n’est peut-être pas la peine d’en faire tout un plat. » Elle m’a lâché.
- Aujourd’hui, ressens-tu de la haine pour cet homme?
- Pas vraiment. Je veux bien croire qu’il soit malade. Je ne me bats pas pour me venger, mais pour qu’il ne ressorte pas de prison. Il faut l’empêcher de recommencer. Cet homme est dangereux: le viol, ça pourrit… Je ne sais pas si je m’en tirerai. Je n’arrive plus à me concentrer. Je tremble. J’ai des malaises. Quelquefois, je suis désespéré. Mais j’en veux surtout à ceux qui le défendent. Ceux-là ne sont pas malades. Ceux-là voudraient bien nous voir partir de la ville comme des coupables. Ils nous reprochent d’avoir foutu le bordel, d’avoir mis un brave homme en prison. Pourtant, ce n’est pas lui, la victime. C’est ma soeur, c’est moi, non?

PHOTOS: Frédéric et ses parents, à Bergerac. Aujourd’hui, ils sont montrés du doigt pour avoir refusé d’étouffer l’affaire.Les Vidal. Un magistrat
de la chancellerie leur
a téléphoné pour
leur dire qu’un procès
aux assises n’était pas la panacée et qu’ils pourraient peut-être envisager une nouvelle vie ailleurs.

Source: http://www.lexpress.fr/informations/moi-frederic-viole-par-le-prof_601169.html

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