par Svali
Avertissement : cet article contient des descriptions imagées des activités de la secte. Ne lisez pas s’il vous plaît si cette lecture présente un risque déclencheur.
Beaucoup de gens m’ont écrit pour me poser des questions du style, »Quand alliez-vous aux réunions ? » ou »Qu’advenait-il de vos enfants quand vous étiez dans le groupe ? » et même »Comment sépariez-vous l’activité de la secte de celle de votre vie normale ? »
Cet article va tenter de donner une réponse à ces questions et de mieux faire comprendre comment fonctionne la dissociation chez une personne qui a une activité dans une secte. Cette »journée » se base sur plus de 12 ans de thérapie et c’est un collage regroupant plusieurs souvenirs différents sur ce qu’était en gros ma vie il y a sept ans quand j’étais toujours en activité dans le groupe de San Diego. J’espère qu’il aidera les personnes-ressource et les thérapeutes à mieux comprendre le fossé d’amnésie sévère séparant les activités de la secte et celles de la vie de tous les jours, et qu’il expliquera qu’un membre d’une secte occulte pratiquant des abus peut être un gentil chrétien dans la vie quotidienne.
7H00 : Je me réveille fatiguée, comme d’habitude. C’est comme si la fatigue ne me lâchait pas d’une semelle, même en allant me coucher de bonne heure. Je me réveille avec la sonnerie du réveil et me lève. Je suis déjà habillée, parce que depuis plus de deux ans mon mari et moi avons commencé à aller nous coucher tout habillés. Nous en rions et convenons que cela économise du temps d’habillement le matin. Je suis dans la tenue de toute maîtresse de maison américaine : confortable pantalon de jogging et haut assorti, et chaussures de tennis. Je me vêts de manière plus élégante au travail. Je fais lever mes deux enfants et prépare un petit déjeuner tout simple : céréales et toasts. Ils se préparent ensuite pour l’école et je les conduis à la petite école catholique. J’y suis institutrice de cours préparatoire ; ma fille est en dernière année de primaire. J’ai un mal de tête tenace que je m’oblige à ignorer en arrivant à l’école.
8H45 : Le cours commence. Je fais la classe aux trois premiers niveaux du primaire dans une école catholique à laquelle sont inscrits mes enfants. Avant je leur ai fait l’école à la maison pendant plusieurs années. On m’a proposé un remplacement dans cette école quand l’un des enseignants habituels est parti et on m’a bientôt demandé d’enseigner à plein temps. J’adore enseigner et me débrouille bien avec plusieurs niveaux scolaires en même temps ; je passe du cours préparatoire aux niveaux suivants, donnant à chacun des activités à faire. Mon programme de cours est préparé pour tout le semestre. On me trouve gentille et patiente, les enfants m’aiment et je les aime, malgré les maux de tête chroniques. Ils sont parfois intenses en fin de journée.
15H30 : La journée de classe est terminée. Ma fille a invité une amie à la maison pour jouer, je leur rappelle d’attacher leur ceinture pour rentrer à la maison. Je suis fatiguée mais je me dis aussi qu’il est important que mes enfants aient une occasion de contacts. Leur tendance à se replier sur eux-mêmes m’ennuie parfois et je les encourage à avoir plus d’amis. Nous faisons du cheval dans l’enclos derrière la maison. Mon fils fait ce commentaire, »Eh bien, Maman, tu es beaucoup plus gentille avec moi à la maison que quand tu es ma prof, » et je rigole et lui dis, »c’est parce que je ne veux pas faire de favoritisme à l’école. »
17H30 : je ramène l’amie chez elle. Le dîner est dans le four. Jusqu’ici ma journée a été exactement celle de n’importe quelle personne ne souffrant pas de troubles dissociatifs d’identité ou qui ne fait pas partie d’une secte. C’est parce que ce sont mes personnalités de journée qui s’expriment. Elles sont douces, attentionnées, chrétiennes et complètement inconscientes d’une autre vie que je mène. Si vous m’arrêtiez à ce moment-là et me demandiez, »Participez-vous à des activités nocturnes ? », je n’aurai absolument aucune idée de ce que vous me racontez. J’ai été fabriquée spécialement pour paraître, agir et être normale à tous niveaux pendant la journée. Vous auriez pu me suivre partout toute la journée et il n’y aurait eu absolument aucune indication que je menais une autre vie par ailleurs. Le seul indice, ce sont les migraines et d’occasionnels accès inexpliqués de dépression où je ne peux m’empêcher de trembler. Ces deux choses m’ont poursuivie toute ma vie.
18H30 : Mon mari rentre à la maison et nous dînons tous ensemble. Lui et moi sommes bons amis, bien que distants par certains côtés : il vit sa vie et je vis la mienne. Nous discutons ou nous disputons rarement ouvertement. J’aide les enfants à faire leurs devoirs pendant qu’il travaille sur le dossier d’un client.
19H45 : Coup de téléphone et quand je réponds, quelqu’un dit, »Samantha est là ? » C’est l’un de mes noms de code et je me retrouve branchée immédiatement. »Rappelez dans quelques minutes », lui dis-je. »Quinze minutes, » dit la voix. J’envoie les enfants en haut prendre leur bain. 8H00 : nouvel appel. »Samantha ? » Je change instantanément. Ma voix devient monocorde et je réponds d’une voix atone. »Oui, qu’y-a-t-il ? » »Pensez à apporter les objets dont nous avons parlé hier soir, » me dit-on. Je récite ensuite un code à cette personne, qui est le chef des formateurs, qui s’assure que je vais me souvenir de son message. Je raccroche après lui.
20H30 : Je lis une histoire à mes enfants. Ils ont très très peur du noir, même à six et dix ans, et insistent pour qu’on laisse une lumière dans leur chambre toute la nuit. Avec la soirée qui avance, ils deviennent de plus en plus anxieux. »Maman, j’ai peur, » me dit ma fille. »De quoi ? » je demande. »Je ne sais pas, » répond-elle. Elle le répète plusieurs fois et je me fais du souci pour ma fille hypersensible et anxieuse. À l’intérieur de moi, je sais que ces peurs ne sont pas normales et qu’il y a quelque chose qui ne va pas mais je ne sais pas quoi. Mon mari me dit que je m’inquiète beaucoup trop et que notre fille en rajoute. Je reste avec les enfants jusqu’à ce qu’ils soient endormis. C’est notre routine du soir et je pense que c’est le moins que je puisse faire.
21H30 : Je me prépare à aller au lit. Il me faut dix à douze heures de sommeil par nuit, sinon je suis totalement épuisée. Combien de fois me suis-je endormie en faisant la lecture à mes enfants. Juste avant de m’endormir, je dis à mon mari, »N’oublie pas » et lui donne un code qui nous fera savoir que nous devons nous lever plus tard. Il répond en allemand qu’il se souviendra.
1H00 : Mon mari me réveille. Lui et moi réveillons les autres chacun notre tour. Nous n’avons pas besoin de sonnerie, parce que notre horloge intérieure nous réveille. Je suis en jogging, je m’endors habillée pour faciliter le lever au milieu de la nuit. Je suis enfin moi, je peux maintenant m’extérioriser et regarder le monde extérieur sans les barreaux de ma cage comme dans la journée. »Va chercher les enfants, » dit-il à voix basse. Je monte et leur dis, »préparez-vous ». Ils sont debout instantanément, totalement obéissants, ce qui est très différent de la journée. Rapidement, silencieusement ils mettent leurs chaussures et je les fais monter dans la voiture.
Mon mari conduit, je suis sur le siège passager. Il conduit phares éteints jusqu’à ce que nous soyons sur la route pour ne pas réveiller nos voisins. Nous vivons au pays des routes en terre et il y a quelques maisons dont il faut se méfier. Mon boulot est de rester en alerte, de guetter si quelqu’un nous suit, et de l’alerter si quelqu’un arrive.
Une fois sur la route goudronnée, il allume les phares et nous nous dirigeons vers la réunion. »Je n’ai pas fini mes devoirs, » dit mon fils. Mon mari et moi nous tournons brièvement vers lui, furieux. »Nous ne parlons pas de la journée pendant la nuit, JAMAIS ! », lui rappelons-nous. »Tu veux être battu ? » Il semble mal à l’aise, puis le reste du trajet se fait en silence, les enfants regardent par la vitre de la voiture pendant que nous glissons silencieusement vers notre destination.
1H20 : Nous arrivons au premier poste de contrôle de la base militaire. Nous passons par l’entrée de derrière et on nous fait un signe de main, les hommes de guet reconnaissent notre voiture et notre plaque d’immatriculation. Ils arrêteraient tout inconnu ou personne non autorisée. Nous passerons deux autres postes avant d’arriver dans la zone de la réunion. Elle se trouve près d’un grand champ sur une très grande base de la marine qui occupe des dizaines d’hectares. De petites tentes ont été installées et des bases temporaires montées pour les exercices de nuit. Nous venons soit ici, soit à l’un des trois autres lieux de réunion, trois fois par semaine. Les gens bavardent et boivent du café. Il y a beaucoup d’amis ici, car tout le monde travaille pour le même but. Le travail est intensif et les amitiés le sont tout autant. Je rejoins un groupe de formateurs que je connais bien.
»On dirait qu’il manque Chrysa », dis-je. »Je parie que cette s…pe de paresseuse n’a pu sortir du lit. » Je suis très différente la nuit. J’emploie des mots qui m’horrifieraient la journée et je suis vache et méchante. Les autres rigolent. »Elle était en retard aussi il y a deux semaines », dit quelqu’un d’autre. »Il va peut-être falloir la DÉNONCER. » Il plaisante mais est en partie sérieux. Personne n’a le droit d’être en retard ou malade. Ou trop en avance. Il y a une fenêtre de dix minutes pour que les membres se présentent aux réunions. Sinon, ils sont ensuite punis s’il n’y a pas une bonne excuse. Forte fièvre, opération chirurgicale, ou accident de voiture sont considérés comme des excuses.
Un syndrome prémenstruel, de la fatigue ou une panne de voiture ne le sont pas. Nous buvons du café pour rester éveillés, car même en état dissocié le corps proteste d’être éveillé au beau milieu de la nuit après une journée remplie d’activités. Je vais me changer au vestiaire et mettre mon uniforme. Nous portons tous des uniformes la nuit et nous avons aussi des grades, basés selon notre position dans le groupe et nos états de service.
1H45 : Nous commençons les tâches qui nous sont assignées. J’ai apporté les registres avec moi, le fameux »objet » qu’on m’a demandé de ne pas oublier. Je les garde cachés dans un placard à la maison, enfermés à clé dans une boîte en métal. Ces livres contiennent les données de différents »sujets » sur lesquels nous travaillons.
Je vais dans le bureau du formateur chef dans un bâtiment proche. Je travaille avec lui, je suis la deuxième formatrice en chef après lui. Nous nous détestons et je soupçonne qu’il aimerait me nuire car j’ai fait plusieurs plaisanteries cruelles à ses dépens. Je suis supposée en avoir peur et c’est le cas, mais je ne peux non plus le respecter et il le sait. Je fais remarquer ses erreurs devant les autres et il essaie souvent de se venger.
1H50 : La pièce à l’intérieur d’un bâtiment qui ressemble à un hangar est installée pour le travail sur les sujets. Elle comporte une table, une lampe et des équipements. La pièce est séparée des activités extérieures, pour que les autres ne soient pas distraits par ce que nous faisons ici. Le sujet est là, prêt pour un travail sur lui. Il y a quelqu’un d’autre, une formatrice plus jeune qui donne un coup de main et je lui dis d’administrer la drogue. Nous travaillons sur les drogues qui aident à induire des états hypnotiques et étudions les effets de ces médications, en combinaison avec l’hypnose et les chocs électriques. On injecte la drogue en sous-cutané et attendons. En dix minutes le sujet s’assoupit et sa respiration se ralentit et s’alourdit, mais ses yeux sont ouverts, ce que nous voulons. (Je ne décrirai pas le reste de la session ici, c’est trop douloureux pour moi de l’évoquer. Je pense que l’expérimentation humaine est cruelle et devrait être stoppée, mais le groupe auquel j’appartenais la pratiquait régulièrement). Nous couchons les données dans le registre tout au long de la session et j’ai aussi un ordinateur portable où j’enregistre aussi des informations. Nous ne faisons pas uniquement le profil de la drogue mais aussi la réponse individuelle de la personne. Nous avons des profils très complets et minutieux sur cette personne, démarrés depuis son enfance. Je peux extraire un profil spécial qui me dit tout de lui : ses couleurs préférées, ce qu’il mange, ses préférences sexuelles, les techniques qui l’apaisent et une liste de tous les codes qui entraîneront une réponse de sa part. Il existe aussi un diagramme de son monde intérieur qui a été créé pendant des années. Ce sujet est facile à travailler et les choses vont bon train. Je corrige à un moment la jeune formatrice qui démarre quelque chose trop tôt. »Il faut apprendre la patience, » dis-je en la réprimandant en allemand. La nuit, nous parlons tous allemand, cette langue et l’anglais étant les deux langues de ce groupe. »Je suis désolée, je pensais que c’était le moment, » dit-elle. Je lui apprends ensuite les signes qui montrent que le sujet est prêt. Voilà pourquoi je suis une formatrice en chef. J’entraîne les jeunes recrues, parce qu’au bout de tant d’années, je connais l’anatomie, la physiologie et la psychologie. Par chance j’ai repris cette jeune formatrice avant qu’elle ne fasse une erreur ; si elle l’avait faite, j’aurai dû la punir. La nuit les erreurs ne sont pas acceptées, jamais. Passé l’âge de deux ou trois ans, on attend des enfants qu’ils soient performants sinon ils sont brutalisés. Cela se poursuit à l’âge adulte.
2H35 : La session est presque terminée et le sujet récupère. La médication a des effets rapides et il aura récupéré à temps pour rentrer chez lui. Je le laisse aux soins de la jeune formatrice et me dirige vers la cafétéria pour faire une pause. Je fume une cigarette en buvant le café avec les autres formateurs. Je n’ai jamais fumé de jour et le café me rend malade, mais ici, la nuit, c’est complètement différent. »Comment se passe ta nuit ? », me demande Jamie, une amie. Je ne la connais que sous le nom de Jamie, ce n’est pas son vrai nom, mais la nuit nous n’utilisons que nos surnoms. Elle est également l’une des institutrices de l’école durant la journée, mais là-bas nous ne sommes pas amies. »Lentement. J’ai dû corriger une autre stupide gamine, » dis-je. Je ne suis pas gentille la nuit, parce que personne ne l’a jamais été avec moi. Il règne une atmosphère style »l’homme est un loup pour l’homme » et très politisée où le plus cruel gagne.
»Et toi ? », je lui demande. Elle fait une grimace. »J’ai dû faire marcher de sales mômes », dit-elle, en parlant d’exercices militaires avec des enfants entre 8 et 10 ans. Il y en a toutes les nuits, parce que le groupe prépare un possible coup d’état. Les enfants sont divisés en groupes selon leur âge et différents adultes se relaient pour les instruire. Nous bavardons pendant quelques minutes et retournons ensuite à nos »travaux ».
2H45 : C’est une session courte. C’est l »’harmonisation » d’un membre faisant partie des chefs militaires. Je sors son profil et le passe en revue avant de démarrer. Le formateur en chef et un autre formateur travaillent avec moi. L’induction hypnotique se fait rapidement, et il se remémore son programme. On le renforce avec un électrochoc et nous contrôlons tous les paramètres. Ils sont tous actifs et bien positionnés. Je soupire de soulagement. C’était un cas facile et sans agressivité contre nous. Après, je le réconforte et suis gentille. »Bon boulot, » lui dis-je. Une petite partie de mon estomac se révolte à cause des brutalités utilisées pour enseigner. Il fait oui de la tête, encore un peu hébété par la session. »Tu peux être fier de toi, » lui dis-je en lui tapotant la main. On lui donne sa récompense ensuite, il passera quelque temps avec un enfant. C’est un pédophile et voilà comment il se réconforte après sa session.
3H30 : Nous nous sommes changés, nos uniformes partent dans un panier à linge spécial avant le nettoyage. Je remets mes vêtements, qui étaient pliés avec soin sur une étagère et nous nous retrouvons tous dans la voiture pour rentrer à la maison. Ma fille commente, »J’aurai une promotion la semaine prochaine, » dit-elle fièrement. »Ils ont dit que j’ai très bien fait les exercices ce soir ».
Elle sait que moi et d’autres adultes seront à la cérémonie qui honore les promotions. Je lui dis que je suis heureuse pour elle. Je suis très lasse pour je ne sais quelle raison. Habituellement, je serai heureuse, mais ce soir, malgré une nuit de routine, cela a été difficile. J’ai senti un froid s’insinuer en moi ces derniers temps et j’ai eu des accès de terreur. J’entends parfois pleurer un enfant à l’intérieur, profondément enfoui et je transpire en travaillant sur des enfants ou des adultes. Et je me demande combien de temps je vais tenir comme ça. J’ai entendu parler de formateurs qui craquent ou qui ne peuvent plus faire leur travail et on m’a aussi chuchoté le récit de ce qu’il leur arrive. Voilà des cauchemars en substance et je refoule mon anxiété.
4H00 : Nous sommes rentrés et nous effondrons dans le lit, instantanément endormis. Les enfants se sont endormis pendant le trajet et mon mari et moi les emmenons dans leur lit. Nous dormons tous d’un sommeil profond et sans rêves.
7H00 : Je me réveille avec la sonnerie, fatiguée. Il semble que je suis toujours fatiguée et ce matin j’ai un léger mal de tête. Je me dépêche de faire lever les enfants et me prépare pour une autre journée d’école. Je me demande si j’ai un problème car je semble avoir besoin de plus en plus de sommeil et me réveille toujours fatiguée. Je n’ai pas la moindre idée que la nuit précédente j’étais debout à vivre une autre vie.
Il peut sembler incroyable à des lecteurs qu’une personne puisse vivre une autre vie et n’en avoir absolument aucune idée mais c’est la nature même de l’amnésie. Si la programmation est faite correctement, c’est presque indétectable et la personne vivra une complète amnésie de ses autres activités. C’est ce qu’on appelle une dissociation et elle existe chez presque tous les membres victime de la maltraitance de sectes, comme celle que je viens de décrire.
Traduction Hélios pour pedopolis
Source (page 237): http://www.fichier-pdf.fr/2012/11/24/ritual-abuse/