La Voix du Nord Procès d’Outreau: Jonathan Delay veut croire qu’il existe «une autre justice»

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Dans quatre semaines aura lieu, à Rennes, le troisième procès de l’affaire d’Outreau (1). Le seul accusé en sera le jeune Daniel Legrand. Pour l’instant, face à lui, une seule personne s’est constituée partie civile : Jonathan, le troisième fils de Thierry Delay et Myriam Badaoui. Rencontre.

On avait laissé un gamin à l’œil vif et au sourire facile. Dix ans plus tard, on retrouve un jeune homme à l’œil vif et au sourire facile. Entre son courageux témoignage au procès de Saint-Omer, en 2004, et ce rendez-vous dans une brasserie parisienne, « Je n’ai pas changé tant que ça », dit-il. La preuve : les habitants de la Tour du renard, à Outreau, l’ont reconnu, quand il y est allé faire un tour, il y a quelques mois. « Ils m’ont vite fait comprendre que je n’étais pas le bienvenu. Je n’ai pas traîné là. »

Depuis dix ans, Jonathan Delay n’a traîné nulle part. Il raconte sans rancœur un parcours qui aurait pu l’achever. Après ce qu’il a subi à la Tour du renard, justement, il y a eu les familles d’accueil en Belgique – « On changeait par tranches d’âge » –, un retour en foyer à Boulogne, jusqu’au jour de ses dix-huit ans, puis trois ans d’errance. De hauts et de bas qui lui ont forgé une bouille un rien désabusée. La tête de celui à qui on ne la fait pas.

« Le problème, c’est que les gens qui veulent bien t’aider ne sont pas ceux qui en ont les moyens. » Quand on sait ça à vingt et un ans, on a compris une bonne partie de la vie. Il remercie donc ceux qui l’ont accueilli et raconte sans s’y attarder « six mois de rue à Paris, du côté de la gare du Nord ». Il avait retrouvé Chérif, son frère aîné. Et Dimitri, aussi. Dylan, le plus jeune, est aujourd’hui au Maroc.

« J’ai l’impression que, des quatre, c’est Jonathan qui s’en sort le mieux », dit Patrice Reviron, son avocat, pendant qu’il est sorti fumer. Quand il revient, il a passé sa veste au-dessus de sa chemisette blanche. Plus tard, il remettra la cravate qu’il a ôtée en arrivant. Vestiges de l’époque où il « flambait », peut-être. « Quand j’ai touché les indemnités, je suis passé de cinq euros d’argent de poche par semaine à 32 000 d’un coup. » Beaucoup d’argent, beaucoup d’amis (« Même des gens qui se présentaient comme des cousins éloignés… »), et puis, « un jour, je me suis réveillé, je n’avais plus rien. »

Et toujours pas d’amertume. Il garde ça pour les autres. Pour sa mère, par exemple : « Je suis allé la voir, il y a deux ans. Je lui ai demandé de répondre à mes questions, elle a détourné la conversation. » Ce qu’il veut savoir, c’est pourquoi elle a dit que ses enfants ont menti. Il n’en fait pas des tonnes pour l’instant (« On verra au procès, c’est là qu’il faudra s’expliquer. »), mais on sent bien que ça ne passe pas. Au procès, justement, il sera face à Daniel Legrand, qu’il n’a jamais mis en cause, au temps de l’enquête. « On ne lui a jamais montré de photo. Nous nous expliquerons de ça », coupe Me Reviron.

Penser à l’avenir

Mais Jonathan n’a pas besoin qu’on parle pour lui. « Je n’ai plus dix ans. Je sais que j’ai été reconnu comme victime, mais maintenant, je veux qu’on m’entende. » On ne saura pas, pour l’instant, le détail de ce qu’il veut dire, mais il fixe ses propres enjeux : « J’ai envie de croire qu’il existe une autre justice, plus respectueuse à notre égard. » Il se raidit, soudain, comme s’il anticipait : « Le verdict, je ne l’accepterai pas. » Surtout, il pense déjà à l’après : « J’aimerais reprendre des études de commerce. Et êt re enfin autre chose qu’un enfant d’Outreau. »

1. Daniel Legrand devra répondre des mêmes faits pour lesquels il a été acquitté, comme tous les autres, mais dans une période de trois mois où il était encore mineur. D’où l’impossibilité de les juger par une cour d’assises classique.

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