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(Blog Médiapart Aurore Van Opstal) Dutroux reconnaît que les enlèvements d’enfants étaient des commandes

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Marc REISINGER et Aurore VAN OPSTAL, 1er octobre 2020 : Les soupçons de ceux qu’on dénigrait il y a 20 ans comme « croyants » sont confirmés par Dutroux lui-même, et personne ne veut l’entendre. Analyse du dernier rapport psychiatrique de Marc Dutroux. Notez qu’aucun média traditionnel n’a publié cette information jusqu’à présent.       

Marc Dutroux a été condamné à la prison à perpétuité pour assassinats, viols sur mineures, séquestration, association de malfaiteurs et trafic de drogue, en 2004.

En juin 1995, Julie Lejeune et Mélissa Russo, âgées de 8 ans, étaient enlevées près de Liège. Dutroux les a séquestrées et laissées mourir de faim avec la complicité de son épouse. Le 22 août 1995, An Marchal et Eefje Lambrecks, âgées de 17 ans et 19 ans, disparaissent après avoir assisté à un spectacle au casino de Blankenberge. Marc Dutroux les a enterrées, vraisemblablement vivantes, en septembre 1995. Le 28 mai 1996, Sabine Dardenne, âgée de 12 ans, est enlevée, de même que Laetitia Delhez, 14 ans, le 9 août 1996. Le 15 août 1996. les deux filles ont été libérées par la gendarmerie de la cave de Dutroux où elles étaient séquestrées.

En Belgique, une condamnation à perpétuité n’implique pas que le condamné finisse ses jours en prison, car il est libérable après 15 ans. Par contre une libération conditionnelle n’est pas facile à obtenir. Si le détenu ne parvient pas à convaincre le tribunal d’application des peines, il peut rester jusqu’à la fin de sa vie derrière les barreaux. Plusieurs conditions doivent être réunies pour obtenir une libération, dont un plan de réinsertion concret.

La femme de Dutroux, Michèle Martin condamnée à 30 ans de prison en 2004 a fait l’objet d’une libération conditionnelle en 2012. Elle a d’abord été hébergée au sein d’un couvent de religieuses avant d’être accueillie par un ancien juge d’extrême-gauche LGBT.

Le dernier avocat de Dutroux (qui en a eu une demi-douzaine), Bruno Dayez, a lancé depuis deux ans une campagne de communication pour faire libérer son client. Il a publié un livre à ce sujet : « Pourquoi libérer Dutroux ? Pour un humanisme pénal » (1). Sa thèse est, grosso modo, qu’une société s’honore en donnant une deuxième chance à ses pires délinquants. La société civile belge a répondu par le silence ou l’indignation, car Dutroux n’a pas laissé de deuxième chance aux enfants assassinés.

Maître Dayez est-il un grand humaniste ou un grand naïf? C’est plutôt un homme froid qui se targue de combattre les idées populaires et populistes, et déguise un certain mépris de classe en apostolat. Avant même le procès de Marc Dutroux, il minimisait la pédophilie : « A force de focaliser sur un certain type de délinquance, de publier quotidiennement des faits d’atteintes aux mœurs, on pousse la population à donner à cette délinquance une dimension qu’elle n’a pas » (2).

Les longues peines et les problèmes de réinsertion constituent peut-être un problème de société, mais Dutroux est le plus mauvais cas pour ouvrir ce débat. Il a en effet été traité à la légère lors de son premier procès en 1989, suite à la séquestration et au viol de quatre mineures. Il avait été condamné à 13 ans et demi, et sa complice Michelle Martin à 5 ans de prison ; or elle avait été libérée en 1991 et lui dès 1992.

Pendant sa libération conditionnelle, Dutroux a même été accusé d’attouchements sexuels sur des jeunes filles à la patinoire de Charleroi en novembre 1992. Interrogé par la Police communale, il avait été relâché sans être inquiété. On peut dire qu’il a largement abusé de sa deuxième chance : sa libération conditionnelle a coûté la vie à Julie, Melissa, Ann et Efje et a failli coûter la vie à Sabine et Laetitia. Transformer l’emprisonnement de Marc Dutroux en problème de société majeur relève du cynisme. En dénonçant le fait qu’on l’a « laissé pourrir dans des conditions épouvantables, apocalyptiques» (ce qui est faux), Maître Dayez n’inspire que le dégoût et la gêne chez les vrais humanistes.

Le plus ironique est que Dutroux lui-même ne demande pas à être libéré. Examiné récemment par trois experts psychiatres, il a déclaré qu’il « ne souhaite aucune forme de libération, mais exige la réouverture de son procès qui, inéluctablement selon lui, conduira à l’innocenter et à le faire sortir par la grande porte » (3). De toute façon sa libération est peu concevable, car il ne présente aucun plan de réinsertion. Les psychiatres concluent d’ailleurs à un « profil psychopathique » avec « sadisme sexuel sévère » et risques de récidive élevé.

 

L’élément nouveau qui pourrait rouvrir le dossier Dutroux dit « BIS »

Rien de neuf par rapport aux expertises précédentes. Par contre, l’anamnèse de Dutroux met en exergue un point essentiel du dossier judiciaire. Il faut se rappeler que Dutroux était suspecté d’avoir enlevé en août 1996 Laetitia Delhez avec la complicité de Michel Nihoul, un homme d’affaire bruxellois véreux. Au début de l’enquête Michèle Martin et Michel Lelièvre, l’homme de main de Dutroux, avaient également témoigné de la complicité de Nihoul dans l’enlèvement de Laetitia, mais au cours du procès tous les accusés se sont montrés mutiques à ce sujet.

Le procureur du Roi Michel Bourlet a plaidé la responsabilité de Nihoul dans cet enlèvement, et convaincu le jury d’Assises, qui répondit oui sur ce point à 7 voix contre 5. Dans un coup de théâtre, les magistrats professionnels ont fait pencher la balance dans le sens de l’acquittement de Nihoul pour ce fait.

Tout le monde ne fut pas surpris par le « sauvetage » de Nihoul. Il faut savoir que ce dernier était impliqué dans le « dossier X1 », fondé sur le témoignage d’une victime évoquant des viols et assassinats de mineurs, impliquant de hautes personnalités belges, dont un banquier, des politiciens et d’anciens ministres. Un dossier clôturé par la magistrature de manière anormale, comme l’ont souligné à l’époque le président de la Commission d’enquête parlementaire Dutroux et ex-ministre de la Justice, Marc Verwilghen, ainsi que des enquêteurs et des journalistes (4) (5) (6). En sauvant Nihoul, les magistrats ont aussi sauvé la Belgique de l’idée infâmante qu’il existerait des réseaux pédo-criminels dans ce pays.

Inquiet que des pistes dites « périphériques » ne soient jamais analysées, que des enquêtes de fonds ne soient pas réalisées, le procureur Bourlet avait instruit avec le Juge Langlois un « dossier [Dutroux] Bis ». Ce dernier évoque largement Nihoul, 28 pistes jamais ‘grattées’ ainsi que l’analyse ADN des cheveux retrouvées dans la cache de Dutroux. Il est à noter que ce dossier Bis pourrait être rouvert si un élément neuf apparaît.

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Or, revenant sur son silence lors du procès, Dutroux vient de déclarer aux experts-psychiatres que l’enlèvement de Sabine et Laetitia a été « exécuté sur ordre de Nihoul et de commanditaires qu’il ne peut dénoncer » (3). Le décès récent de Michel Nihoul en 2019 semble avoir rafraîchi la mémoire de Dutroux, qui n’a pourtant pas grand-chose à gagner sur ce point, puisqu’il est établi que c’est lui qui a enlevé Sabine et Laetitia. La désignation tardive de Nihoul dans les enlèvements d’enfants constitue, selon nous, un point fondamental pour la compréhension des liens entre l’affaire Dutroux et les Dossiers X, ainsi qu’un élément neuf qui pourrait pousser la justice belge a rouvrir un dossier classé sans suite dans des conditions nébuleuses, le « Dossier Bis ». Il est temps que la vérité éclate sur des événements qui ont bouleversé le monde judiciaire belge à la fin du siècle dernier.

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(1) Editions Samsa, 2015
(2) Le Soir, 25 août 2000
(3)Rapport préliminaire des trois psychiatres à la demande du Tribunal d’application des peines (TAP) de Bruxelles, septembre 2020
(4) Marc Verwilghen, « Paroles d’homme », Editions La Longue Vue, 1999
(5) Bulté, De Coninck, Van Heeswyck, « Les Dossiers X, ce que la Belgique ne devait pas savoir sur l’affaire Dutroux », EPO, 1999
(6) Marc Reisinger, postface à Régina Louf, « Silence on tue des enfants », Editions Mols, 1998

Marc Reisinger et Aurore Van Opstal, 1er octobre 2020

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