(L'Humanité) Affaire Camille Chauvet/Priscilla Majani : Nouveau procès pour une mère qui a voulu protéger son enfant ce 23 novembre

J’AURAIS FAIT COMME ELLE

« Priscilla Majani a-t-elle agi par nécessité dans l’intérêt de son enfant? C’est à cette question que les juges de la cour d’appel d’Aix-en- Provence (Bouches-du- Rhône) devront répondre, lors du second procès en appel de la mère de famille, qui débute ce mercredi. Âgée de 47 ans, l’ancienne ingénieure militaire varoise avait pris la fuite en février 2011 avec Camille, sa fille, alors âgée de 5 ans, après que cette dernière avait rapporté des agissements pédocriminels de la part de son père, qui en avait la garde partagée.
Arrêtée lors d’un simple contrôle routier, début 2022, dans les environs de Lausanne (Suisse), où elle résidait avec sa fille, maintenant lycéenne, la quadragénaire a été extradée en France en août et incarcérée. Le 16 septembre, le tribunal correctionnel de Toulon a condamné Priscilla Majani à cinq ans de prison et 25 000 euros d’amende pour « soustraction d’enfant », « non-présentation d’enfant », « dénonciation calomnieuse » et «dénonciation mensongère», au préjudice d’Alain Chauvet, le père de Camille. Pendant les onze années durant lesquelles son ex-femme, de 27 ans sa cadette, a disparu, ce dernier n’a cessé de clamer son innocence, multipliant les actions spectaculaires, appuyé notamment par l’association SOS Papa, pour dénoncer « l’enlèvement de l’enfant ».

« COUPS DE POING, BRÛLURES, ATTOUCHEMENTS ET PÉNÉTRATION »
Pourtant, l’adolescente, qui refuse tout contact avec son géniteur, vient, le 18 novembre, de déposer plainte contre lui, en Suisse, où elle a été placée dans une famille d’accueil par la protection de l’enfance du canton de Vaud, à la suite de l’arrestation de sa mère. Dans sa plainte, que l’Humanité a pu consulter, elle dénonce des violences psychologiques, physiques et sexuelles infligées jusqu’à ses 5 ans par son père quand il en avait la garde. « Enfermée plusieurs heures dans une pièce fermée à clé et sans lumière », « Alain Chauvet ne me permettait pas de manger quand j’étais chez lui », « coups de poing au niveau du visage et du corps, brûlures avec de l’eau chaude », « actes d’attouchements et pénétration réalisés par mon père avec son sexe dans mon anus »… Ce nouvel élément versé au dossier parviendra-t-il à convaincre les juges du rôle protecteur de la mère de la jeune fille ? C’est ce que veut croire Me Myriam Guedj Benayoun, son avocate. « Le procès de septembre a été complètement vicié. Je n’ai pas pu terminer ma plaidoirie, l’avocat de la partie adverse a été particulièrement agressif à mon égard et un témoin que je citais a été récusé sous un prétexte illégal. J’ai d’ailleurs moi-même déposé plainte. Cette fois, je suis déterminée à faire entendre à la cour l’intégralité des arguments qui prouvent la personnalité toxique et le caractère manipulateur du père, qui se dit victime d’un complot. » Contacté, l’avocat d’Alain Chauvet n’a pas répondu aux sollicitations de l’Humanité.
Il lui faudra aussi prouver que la mère de Camille a tenté par tous les moyens légaux de protéger son enfant, avant de se résoudre à tout quitter avec elle. En effet, quand Camille lui a révélé, au retour d’un séjour chez son père, que ce dernier avait « mis son zizi dans le trou de (ses) fesses » et que cela faisait « très, très mal », la mère s’est rendue au commissariat d’Hyères, où la fillette a été auditionnée à deux reprises en janvier 2011, puis vue par une psychologue sur injonction du tribunal de Toulon. Convoqué, le père a nié en bloc les accusations de Camille, la disant manipulée par sa mère. Après seulement quatre jours, l’enquête est close, se fondant sur l’aspect « récitatif » du témoignage de la petite fille de 5 ans ; le fait que la psychologue et le médecin qui l’ont examinée n’aient pas détecté de traumatisme chez l’enfant, aucune poursuite contre le père n’est intentée. « On parle de classement sans suite, ce qui est de fait le cas, mais curieusement l’avis de classement sans suite n’existe pas… » note Me Guedj Benayoun, qui dénonce une enquête bâclée. « M. Chauvet, pilote d’avion privé qui travaillait pour des personnalités haut placées, dont Bernard Kouchner, et exerçait des responsabilités au sein d’une loge maçonnique, a pu bénéficier de protections », suspecte-t-elle.

LES CONCLUSIONS DES MÉDECINS DIFFÈRENT DE CELLES DE LA POLICE
Cette décision n’empêche pas Priscilla Majani de continuer à croire sa fille et de vouloir la protéger. Fin janvier 2011, elle se rend à l’unité d’accueil des jeunes victimes de l’hôpital Trousseau, à Paris, une consultation dédiée aux enfants abusés. Les conclusions des médecins qui ont examiné et entendu Camille à plusieurs reprises s’avèrent différentes de celles de la police.

« Il faut que la justice entende la parole de cette femme qui a sacrifié sa vie pour sa fille. »
Eva DARLAN, PRÉSIDENTE DU COMITÉ DE SOUTIEN

Dans leur rapport, que l’Humanité a pu consulter, ils estiment probables les viols de l’enfant et adressent un signalement à la cellule de recueil d’informations préoccupantes du Var, dont la justice ne tiendra pas compte. Toujours inquiète pour sa fille, Mme Majani refuse de la confier à son père lors de son tour de garde. C’est ce qui la conduit, en février 2011, en garde à vue. Les policiers viennent la chercher à son domicile après que le père a déposé plainte pour non-présentation d’enfant. Dans la foulée, une psychologue, avec qui Priscilla Majani a un entretien à l’issue de sa garde à vue, la déclare instable. Ce qui justifie l’attribution de la garde exclusive de Camille à son père. « C’est à ce moment-là que ma cliente, qui n’en avait jamais eu l’intention avant, n’a vu d’autre issue que la fuite », explique son avocate. C’est ainsi que, fin février, la mère de famille quitte son travail et la maison dans laquelle elle avait effectué d’importants travaux avant d’y emménager avec sa fille et part à l’étranger avec son enfant. Sous les radars de la justice, l’ancienne ingénieure fait des ménages pour subvenir aux besoins de sa fille, qu’elle scolarise et fait suivre régulièrement par une psychologue, en Suisse.
«Il faut que la justice entende la parole de cette femme qui a sacrifié sa vie pour sa fille », implore Eva Darlan, présidente du comité de soutien de Priscilla Majani. Avec nombre de personnalités, dont des membres de la Ciivise et des responsables politiques, la comédienne, qui avait pris la défense de Jacqueline Sauvage, a de nouveau décidé de mettre sa notoriété au profit de la cause d’une femme qu’elle estime injustement condamnée. « Notre mot d’ordre, c’est : j’aurais fait comme elle», explique l’actrice, qui espère que ces mots résonneront dans la salle d’audience. Y seront aussi exposés les témoignages de la première épouse d’Alain Chauvet et des trois enfants issus de cette première union. Tous décrivent un homme colérique et violent, qui les faisait vivre dans la terreur. «Ma mère, mon frère, ma sœur et moi avons été victimes de maltraitance de la part d’Alain Chauvet jusqu’à ce que ma mère arrive à divorcer en 1999 », écrit l’aînée, Claire Chauvet, détaillant les agissements de son père : « Il traitait constamment ma mère de grosse vache, ma sœur et moi de putes et mon frère de pédé. Il nous disait régulièrement : “Je vais t’arracher la gueule” et proférait des menaces de mort à notre égard. Il disait qu’il allait sortir le fusil, dont il gardait les cartouches à côté de son lit. » Des propos corroborés par l’ensemble de la famille, y compris les cousins des enfants aînés et Françoise, la première épouse d’Alain Chauvet, qui a décidé de venir à l’audience pour soutenir Priscilla Majani : « Elle a eu le courage de fuir cet homme pour protéger sa fille, assure cette dernière. Si j’avais pu, j’aurais fait la même chose. » Autant de voix concordantes que le tribunal pourrait pourtant ignorer.«Si c’était le cas, assure Me Guedj Benayoun, nous irions en cassation.»
EUGÉNIE BARBEZAT

Source :
https://www.humanite.fr/societe/justice/nouveau-proces-pour-une-mere-qui-voulu-proteger-son-enfant-771998, Photo : Le 16 septembre, le tribunal correctionnel de Toulon a retenu les délits de « soustraction d’enfant », « non-présentation d’enfant », « dénonciation calomnieuse » et « dénonciation mensongère » pour prononcer son verdict. Frank Muller/Nice Matin/MaxPPP PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP

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