Je n-avais aucun autre moyen de proteger ma fille

(France Info) « Je n’avais aucun autre moyen de protéger ma fille » : ces mères jugées pour avoir retiré leur enfant à un père accusé d’inceste

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Des femmes sont poursuivies parce qu’elles ont refusé de présenter à leur ex-conjoint leur enfant, après que celui-ci a révélé avoir subi des violences incestueuses. Souvent jugées manipulatrices, elles mènent un combat de longue haleine pour faire entendre leur voix et celle de leur enfant face à celle du père.

« Je risque la prison. Juste parce que je protège ma fille. Mais je ne lâcherai pas, je ne la rendrai pas. » Hélène est résolue. Cette femme de 42 ans sera jugée en appel à Reims, mercredi 7 juin, pour non-représentation d’enfant, un délit passible d’un an de prison et 15 000 euros d’amende. En première instance, le 14 novembre 2022, elle a été condamnée à six mois de prison avec sursis probatoire. Car depuis plus de deux ans, cette mère refuse de présenter sa cadette, Rose*, à son père, en raison des révélations de la petite fille : celle-ci a affirmé, à plusieurs reprises, avoir subi des violences sexuelles incestueuses.

Basculer dans l’illégalité pour protéger son enfant : Hélène n’est pas la seule à faire ce choix. D’autres parents agissent de la même façon, même si chaque affaire est spécifique. Des pères sont concernés, mais ce sont, en majorité, des mères, qui se désignent comme « désenfantées » ou « protectrices ». La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) assure, dans un avis rendu le 27 octobre 2021, que depuis son installation, elle a été « alertée » par « des centaines » d’entre elles. Des militantes féministes se mobilisent pour dénoncer ces situations, comme les Femen, qui ont manifesté devant le ministère de la Justice dimanche 4 juin.

Selon la Ciivise, ces mères sont « suspectées de manipuler leur enfant pour nuire à leur conjoint, en les accusant d’inceste, le plus souvent dans le contexte d’une séparation ». « Les mères se trouvent devant une injonction paradoxale : elles sont complices si elles ne dénoncent pas les violences, mais quand elles le font, on dit qu’elles sont manipulatrices », résume Edouard Durand, qui copréside la Ciivise après avoir été juge des enfants pendant plusieurs années. D’après les données les plus récentes transmises à franceinfo par le ministère de la Justice, 718 personnes ont été condamnées définitivement pour non-représentation d’enfant en 2021. Parmi elles, 81% étaient des femmes.

« Le premier réflexe de la justice est de se méfier de la mère »

Les premières confidences de la fille d’Hélène datent d’août 2019, au retour d’une journée chez son père. « Rose m’a dit qu’il lui avait mis un doigt dans la nénette et qu’il lui avait fait mal », affirme la quadragénaire. Elle observe aussi que sa fille, alors âgée de 3 ans, « se crispe pendant sa toilette ». Hélène se rend à la Protection maternelle et infantile (PMI) de son quartier, qui la dirige vers une unité médico-judiciaire. Elle obtient un rendez-vous un mois et demi plus tard. « On me dit qu’il n’y a rien, pas de trace, alors je ne donne pas suite », relate-t-elle. Pendant plus d’un an, Rose continue d’aller chez son père, qui nie tout acte sexuel sur sa fille. Mais Hélène assure qu’elle la voit changer : « Elle fait des cauchemars, pipi au lit, des crises d’eczéma et régresse verbalement. »

Chez son médecin traitant, qui interroge l’enfant seule, Rose « confirme sa peur d’aller chez son papa, évoque le fait qu’[il] la ‘tape’. Elle me dit que son papa ne touche plus sa nénette », écrit la docteure dans un certificat consulté par franceinfo, qui vient compléter un signalement des services sociaux, en décembre 2020. « La juge aux affaires familiales m’a sommée de remettre Rose à son père pendant les vacances de Noël. C’est la dernière fois qu’elle y est allée. Vu son état, je me suis dit : ‘stop, ça suffit’ », confie Hélène. En réaction, le père de Rose dépose plainte une vingtaine de fois pour non-représentation d’enfant. Contacté par franceinfo, son avocat n’a pas souhaité répondre.

« Je préfère prendre un risque pour moi plutôt que pour elle. »
Hélène, mère jugée en appel pour non-représentation d’enfant à franceinfo

Pascal Cussigh, avocat et président de CDP-Enfance, une association d’aide aux victimes de maltraitance, juge que « le premier réflexe de l’autorité judiciaire est de se méfier de la mère et de ficher la paix au père car il est présumé innocent ». « Faut-il servir l’enfant sur un plateau au père ou le protéger malgré la loi ? C’est le dilemme pour ces femmes », estime Christine Cerrada, avocate référente de l’association L’Enfance au cœur, qui raconte l’histoire de quatre d’entre elles dans Placements abusifs d »enfants, une justice sous influences (Michalon, 2023). « Et lorsqu’elles sont au pied du mur, les mamans fuient, ce qui n’est jamais une solution et est très grave sur le plan judiciaire », poursuit l’avocate. Les femmes qui partent avec leur enfant risquent jusqu’à 45 000 euros d’amende et trois ans de prison.

« Il m’était viscéralement impossible d’obéir à cette décision »

« Je n’avais aucun autre moyen pour protéger ma fille que de nous cacher », témoigne auprès de franceinfo Tamara, qui vit depuis cinq ans dans un lieu tenu secret avec sa fille de 9 ans. Anna* n’avait que 2 ans et demi quand elle a mimé des actes sexuels et désigné, avec ses mots d’enfant, son père comme l’auteur. Au fil des mois, des signalements adressés au procureur accréditent les propos de la petite fille. En septembre 2017, Tamara cesse de la présenter à son père. Trois mois plus tard, elle apprend que la plainte qu’elle a déposée pour viol sur mineur par ascendant est classée sans suite, comme c’est le cas, selon le ministère de la Justice, de 70% des plaintes pour viol, sur mineurs et majeurs confondus, essentiellement au motif que l’infraction est insuffisamment caractérisée.

Dans l’intervalle, le dossier est arrivé entre les mains d’une juge des enfants, qui ordonne une mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE). Anna est entendue par la psychologue en charge de la mesure. « Alors qu’elle dénonçait clairement et de façon crédible les violences subies, puis disait, à deux reprises : ‘c’est la vérité ce que je dis’, il est écrit dans le rapport qu’elle aurait dit : ‘c’est maman qui me raconte la vérité’ », expose Tamara, qui dispose d’un enregistrement de l’entretien retranscrit sur procès-verbal, auquel franceinfo a eu accès. C’est sur la base de ce rapport que la résidence de l’enfant est transférée chez son père. « Il m’était viscéralement impossible d’obéir à [cette] décision, alors que ni les professionnels ni moi n’avions de doute sur la réalité de l’inceste subi par Anna », explique Tamara, qui estime que les « juges se sont fondés sur un rapport truqué, passant sous silence tous les éléments probants ». Elle dénonce aussi « trois expertises judiciaires plus délirantes les unes que les autres » pour étayer « les dires du père ».

Une bataille autour du « syndrome d’aliénation parentale »

Car dans ces affaires se joue aussi une bataille entre experts. Dans les décisions de justice que franceinfo a pu consulter, psychologues et psychiatres missionnés par les juges aux affaires familiales pointent l’influence sur les enfants des parents qui dénoncent des maltraitances, les mères dans la majorité des cas. Ces dernières ont donc recours à des contre-expertises privées. « C’est mon travail : je reçois des demandes de toute la France », atteste Flavia Remo, titulaire du diplôme universitaire d’expertise légale en pédopsychiatrie et psychologie de l’enfant de l’université Paris-Descartes.

« Un enfant ne connaît pas la sexualité, donc il ne peut pas inventer ce qu’il ne sait pas », poursuit Flavia Remo, qui met en avant l’existence de protocoles précis et scientifiques, afin de recueillir sa parole et valider sa fiabilité. Mais l’affaire d’Outreau a eu de graves conséquences sur la « crédibilité » de la parole de l’enfant : « Elle empêche de dire qu’un enfant ne ment pas. » Pourtant, les fausses allégations de violences sexuelles sont marginales, comme en témoignent les études qui existent sur le sujet.

« On préfère imaginer une mère folle plutôt qu’un père incestueux. »
Flavia Remo, spécialisée en psychotraumatismes à franceinfo

L’autre explication, que Flavia Remo soutient, avec d’autres spécialistes des traumatismes chez l’enfant, tient à la propagation de la notion de « syndrome d’aliénation parentale » (SAP). « La théorie de l’agresseur, qui, pour se défendre, dit que l’enfant est manipulé par la mère, trouve un écho auprès de certaines institutions, qui se laissent convaincre », estime Pauline Rongier, avocate d’une cinquantaine de « mamans protectrices ».

Forgée par Richard Gardner dans les années 1980, cette notion conceptualise le fait qu’un enfant dénigre l’un de ses parents sous l’emprise de l’autre, surtout s’ils sont séparés. Dans ce contexte, le psychiatre américain considère que toute révélation d’un enfant sur une agression sexuelle est fausse. Des pédopsychiatres, tels que Maurice Berger, jugent ce « concept dangereux » et rappellent que Richard Gardner fait l’apologie de la pédophilie dans ses ouvrages.

« Cette notion n’a aucune assise scientifique », s’insurge Flavia Remo. De fait, ce syndrome n’apparaît pas dans la classification internationale des maladies. « Le syndrome d’aliénation parentale est une manière de cautionner le déni, puisqu’il inverse la culpabilité en la transférant sur la mère qui révèle les violences sur l’enfant », analyse Edouard Durand, qui le réfute dans ses interventions à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM). « Plutôt que de priver un parent de ses droits, on court le risque d’envoyer un enfant chez son agresseur. »

« La non-considération de la parole de l’enfant, c’est ultraviolent »

C’est la situation que vit Sylvie*. Malgré les révélations de sa fille Zoé* alors qu’elle avait à peine 3 ans, une juge aux affaires familiales a ordonné un transfert de résidence chez le père depuis la rentrée. Dans son ordonnance, que franceinfo a pu consulter, la magistrate estime que les « troubles » de Zoé « apparaissent plus manifestement en lien avec le conflit familial qu’avec un traumatisme d’agressions paternelles ». Elle justifie aussi sa décision « afin de rétablir un équilibre dans la présence des parents » et « de limiter l’exposition à la position sans recul » de Sylvie, dont elle pointe l’ »obstruction ». Une référence à sa condamnation pour non-représentation d’enfant en 2021.

Cette fois, Sylvie applique la décision de justice. « Je vois Zoé un week-end sur deux et pendant les vacances. Elle me dit : ‘maman, c’est la maison de la souffrance chez mon père’ », se désespère cette femme. « La non-considération de la parole de l’enfant, c’est ultraviolent », parvient-elle à articuler au téléphone. Elle se bat pour récupérer la garde, alors qu’une instruction est en cours sur les soupçons de violences sexuelles incestueuses, à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile. Des accusations démenties par son ex-conjoint, dont l’avocate n’a pas donné suite à nos demandes.

L’ »état de nécessité » reconnu par la justice

PROBLÈME TECHNIQUE : impossible d’archiver la fin de l’article, veuillez la lire sur le site de France Info

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