LES PARTICIPANTS avaient soigneusement choisi leur lieu de conférence, l’hôtel l’Aigle noir, à Fontainebleau (Seine-et-Marne), où Jacques Prévert avait écrit plusieurs strophes du poème « la Chasse à l’enfant », traitant des sévices sur mineurs. L’association Enfance majuscule, spécialisée dans la protection de l’enfance, s’est servie de ce symbole pour dénoncer les « longueurs » d’une enquête sur un dossier de pédophilie qui « traîne depuis 52 mois ».
Robert Mégel, ancien directeur charismatique des Tournelles à Hautefeuille (Seine-et-Marne), institut de luxe pour enfants en difficulté aujourd’hui fermé, a été mis en examen le 12 septembre 1997 pour « viols et agressions sexuelles ». Jérôme N , résidant aux Tournelles, avait porté plainte au SRPJ de Versailles après s’être enfui de l’établissement en mai 1997. L’adolescent raconte alors aux policiers : « Robert Mégel, c’était le patron. Quand il nous convoquait pour nous caresser, ce n’était pas facile de résister. Et, quelquefois, il allait plus loin » Depuis, toutes les plaintes déposées par d’autres anciens élèves, sauf deux, ont été abandonnées ou déclarées prescrites. L’association Enfance majuscule s’inquiète « des pressions » exercées sur l’enquête en raison de la personnalité du mis en examen.
Robert Mégel, ancien fonctionnaire détaché du ministère de la Justice, comptait dans son conseil d’administration Philippe Sauzay, conseiller d’Etat, Jean-Marc Borello, ancien patron de la boîte de nuit le Palace ainsi que plusieurs hauts magistrats parisiens. Dans le château du XIX e siècle de l’institut des Tournelles, financé notamment par la Sécurité sociale et le ministère de la Justice, Danielle Mitterrand, Raïssa Gorbatchev ou encore la juge Eva Joly donnaient des conférences devant un auditoire d’élèves à la dérive, âgés de 7 à 18 ans à qui on ne refusait rien. Voyages à l’étranger, nuits passées dans des hôtels Carlton et nombreux cadeaux. Cette débauche de moyens rentrait dans le cadre de la « thérapie par le luxe » inspirée par Françoise Dolto. Robert Mégel a-t-il bénéficié d’appuis influents ? L’association Enfance majuscule semble le croire. « Faudra-t-il attendre 20 ans comme dans l’affaire des disparues de l’Yonne pour aller chercher des responsabilités », tonne Pascal Vivet, ancien chargé de mission pour la prévention des mauvais traitements des mineurs au conseil général de Seine-et-Marne dont le contrat n’a pas été renouvelé.
De source proche de l’enquête, on convient que ce dossier explosif est « sous haute surveillance » mais qu’il n’y a aucune intention de « l’enterrer ». Le retard pris dans l’instruction serait simplement dû aux compléments d’expertises demandés par la défense. M e Henri Leclerc, avocat de Robert Mégel, injoignable ces deux derniers jours, a toujours plaidé l’innocence de son client qui aurait été victime d’une vengeance de Jérome N En marge de cette affaire se profile une autre enquête sur le patrimoine de l’institut estimé à environ 80 millions de francs, dont l’association des Tournelles continue à avoir la jouissance.
Un rapport de l’Igas de 1998, truffé d’erreurs selon d’anciens membres du conseil d’administration, pointait une gestion calamiteuse. « Il ressort des investigations aux Tournelles que le financement des projets éducatifs a servi pour des intérêts personnels dont le principal bénéficiaire, mais non le seul, était Robert Mégel », notait le rapporteur.
Le Parisien