(Huffington Post) Avec le #MeTooAmnesie, des témoignages sur l’amnésie traumatique des violences sexuelles

L’association à l’origine de ce mouvement réclame, entre autres, que l’amnésie traumatique soit reconnue comme un « obstacle insurmontable » permettant la suspension du délai de prescription.

« Victimes de violences sexuelles, nous demandons l’introduction de l’amnésie traumatique dans la loi et la levée de la prescription. »

Les messages affluent sur les réseaux sociaux. Des dizaines de personnes partagent leur histoire depuis ce dimanche 21 février grâce au hashtag #MeTooAmnesie. Elles témoignent de l’amnésie traumatique qu’elles ont subie suite à des violences sexuelles, notamment lorsqu’elles étaient mineures.

À l’origine de ce mouvement se trouve Mié Kohiyama, présidente de l’association MoiAussiAmnesie. Avec d’autres spécialistes du sujet, comme Muriel Salmona, Andréa Bescond, Arnaud Gallais, Marie Rabatel et Sarah Abitbol, elle a lancé un hashtag ce dimanche midi pour que “les pouvoirs publics se saisissent de la question de l’amnésie traumatique* (période pendant laquelle une personne n’a pas conscience des violences qu’elle a subies, ndlr)”.

“Ils se sont emparés de la question de l’inceste, d’un seuil d’âge au-dessous duquel le consentement n’est pas possible, de la prescription glissante, mais il n’y a aucune réponse sur l’amnésie traumatique”, regrette Mié Kohiyama auprès du HuffPost.

Le gouvernement souhaite en effet créer un nouveau crime pour les crimes sexuels sur mineurs. Il permettra d’instaurer dans la loi un âge en dessous duquel un enfant ne peut consentir à un rapport sexuel: 15 ans en cas de crimes sexuels et 18 ans en cas d’inceste. Le gouvernement entend aussi inscrire dans la loi la prescription dite “glissante” ou “réactivée”. Mais la question de l’amnésie traumatique n’a pas encore été abordée.

La question de la prescription

Pourtant selon Mié Kohiyama, “entre 40 et 60% des victimes de violences sexuelles dans leur minorité subissent une amnésie traumatique”. “On veut permettre à ces victimes pour qui les faits sont prescrits d’avoir une chance de voir leur plainte instruite au moment de la résurgence des souvenirs”, abonde-t-elle.

En effet, de nombreux témoignages partagés sur Twitter dénoncent cette impossibilité. À commencer par celui de Mié Kohiyama elle-même. “Violée à 5 ans par un cousin de 39 ans pendant des vacances d’été. 32 ans d’amnésie traumatique. Ma plainte a été classée sans suite en raison de la prescription”, raconte-t-elle.

 

 

‌”Violée à 14 ans. 20 ans d’amnésie traumatique. J’ai porté plainte. Plainte qui n’a jamais été instruite du fait de la prescription”, raconte une autre internaute.  

“Violée de mes 4 à mes 8 ans. 45 ans d’amnésie traumatique. Je n’ai pas porté plainte du fait de la prescription, témoigne une autre. J’ai encore une amnésie partielle.”

“J’avais 5 ans, violée par un médecin, raconte une autre femme. Amnésie de 45 ans, une vie à se souvenir de quelque chose de très désagréable et associé à une douleur vaginale. Jamais porté plainte. Ce jour-là, cet homme a fait de moi une proie facile pour les autres, c’est fini”.

“On se bat pour que l’amnésie traumatique soit introduite dans la loi et reconnue comme un obstacle insurmontable qui suspendrait la prescription”, explique Mié Kohiyama.

  

Introduire l’amnésie traumatique dans la loi

   

En effet, comme nous l’expliquions dans un article publié le 21 janvier dernier, il est aujourd’hui possible de suspendre la prescription pendant un temps donné, notamment en cas de force majeure. Plusieurs associations plaident ainsi pour que l’amnésie traumatique soit reconnue comme telle. “C’est déjà possible dans la loi depuis 2017, expliquait au HuffPost la juriste Audrey Darsonville. Mais la Cour de cassation s’y oppose”.

 

La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français a en effet rendu un arrêt le 17 octobre 2018 dans lequel elle dit que “l’amnésie traumatique (…) ne peut être considérée comme constituant un obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure ayant pu suspendre le délai de prescription”.

 

“Il faudrait former les magistrats à comprendre ce qu’est l’amnésie traumatique”, plaidait Audrey Darsonville. Il est difficile d’en déterminer le début et la fin, mais on pourrait dire que la prescription reprend au moment où l’expert psychiatrique détermine que la mémoire revient”.

Double peine

Au-delà de de l’introduction de l’amnésie traumatique dans la loi, Mié Kohiyama souhaite aussi, et surtout, sensibiliser le grand public à ce phénomène. Comme le montrent les nombreux témoignages partagés sur les réseaux sociaux depuis ce dimanche midi, l’amnésie traumatique est avant tout une souffrance. “J’avais 9ans. Amnésie des viols pendant 40 ans. Les violeurs savent que leurs victimes oublient et les laisseront tranquilles, témoigne une victime sur Twitter. Pourquoi laisser aux violeurs l’exclusivité de l’amnésie traumatique? Pourquoi la loi ne s’en empare-t-elle pas?”

 


“Ces témoignages sont extrêmement touchants et émouvants, confie Mié Kohiyama qui s’attendait à une telle vague de message. De nombreuses personnes sont concernées par l’amnésie traumatique qui représente une double peine: on est victime de violences sexuelles et de cette souffrance terrible de la mémoire”. “Face à cette double peine, les victimes sont laissées à l’abandon et sans protection, soupire-t-elle. Il faut reconnaitre l’amnésie traumatique dans la loi”.

 

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