Et la France ? Alors que le monde découvrait avec horreur l’affaire Dutroux en Belgique, quatre opérations de police ont ciblé les pédophiles dans l’Hexagone. Premier coup de filet, en avril 1996. Nom de code : opération Toro Bravo. Quinze mois d’enquête à partir de la saisie d’une cassette chez un cadre parisien, pour débusquer un réseau impliquant soixante-douze personnes. À sa tête Caignet et Vuillaume.
Michel Caignet, néonazi, activiste de la FANE, éditait depuis de longues années des revues homosexuelles à connotations pédophiles : Gay France Magazine, Alexandre, Sparte, etc. Son complice, Jean-Manuel Vuillaume, photographe et vidéaste, filmait à Bogota (Colombie) les viols d’enfants, parfois de moins de dix ans. Cassettes revendues en France jusqu’à 800 francs l’unité. Les deux acolytes allaient jusqu’à théoriser leur extrémisme et leur perversion : » Ce combat pour la vie, notre vie à deux : lui, l’enfant-garçon et moi, l’adulte-homme… la révolution est en marche. Demain nous serons des milliers. »
Ce prosélytisme était parfaitement connu. Nous avions dénoncé les prétendues activités artistiques de Vuillaume dans l’Humanité Dimanche en 1986. Il tenait alors une galerie de photos sans équivoques, en plein Paris à deux cents mètres du Sénat. Nous avions posé la question : » Qui sont les protecteurs haut placés des réseaux tolérés ? » (1). Cette impunité aura duré onze ans.
Deuxième affaire en 1997. L’opération Ados 71, en référence avec le numéro du département d’où est partie l’enquête, la Saône-et-Loire. Là encore les investigations se structurent à partir de la commercialisation de cassettes vidéo. Huit cents perquisitions. Trois cent quarante-cinq gardes à vue effectuées avec une très large couverture médiatique. La plupart des suspects seront remis en liberté. Cinq d’entre eux se suicideront. Le réseau n’a toujours pas été jugé.
Troisième affaire. Elle débouche en 1997 sur le premier procès du tourisme sexuel, à Draguignan (Var). Sept hommes seront condamnés pour avoir organisé des voyages très » spéciaux » en Thaïlande et en Roumanie.
Quatrième dossier, l’opération Achille. Cinquante interpellations dans douze départements. L’instruction est bouclée. Le procès aurait dû avoir lieu à l’automne 1999. Là encore l’enquête était partie de la plainte déposée par une association, le Bouclier (2). Elle réalise en France le même travail que les Morckoven en Belgique. Bernard Valadon, président du Bouclier, s’inquiète : » Il est anormal que quatre ans après notre plainte, cette affaire ne soit pas encore jugée. »
Comment ne pas s’interroger ? Les quatre enquêtes évoquées ci-dessus ont été lancées dans l’émotion causée par l’affaire Dutroux. Depuis 1998, les affaires pédophiles semblent ne plus être considérées comme une priorité. Retour à la situation de tolérance existante avant 1995 ? Pour Bernard Valadon, ce laxisme résulte de trois facteurs : » Il y a une absence totale de coordination entre les services chargés des enquêtes en France et au niveau européen. Je constate aussi que la plupart des enquêteurs n’ont pas de formation adaptée. Il ne suffit pas de pianoter sur un clavier d’ordinateur pour être un cyberflic capable de mener une traque sur Internet. Enfin et surtout, je ressens une totale absence de volonté politique, manifeste ou douteuse. »
Selon le président du Bouclier, il y aurait en France entre 90 000 et 300 000 enfants en danger. L’inceste et les violences familiales restent le problème quantitativement le plus lourd. Régulièrement, quelques pédophiles isolés sont interpellés. Statistiquement, ils sont souvent éducateurs ou enseignants, curés ou pasteurs, et agissent en solitaire. Autre chose est l’existence de réseaux dirigés par de véritables proxénètes. L’argent associé aux viols d’enfants. La situation des enfants issus de certaines filières d’immigration clandestine pose un véritable problème. Ces enfants, qui n’ont aucune existence légale, deviennent des victimes idéales pour les trafiquants du sordide. Illustration de cette crainte, l’arrestation à La Ciotat (Bouches-du-Rhône) de deux photographes » spécialisés » dans les mineurs venus des pays de l’Est, notamment de Pologne, via l’Allemagne. Quelle suite a été donnée à cette découverte ? Passé l’impact médiatique des quatre opérations qui sont intervenues en 1996 et 1997, la tendance est à nouveau à nier l’existence de réseaux structurés en France. Des médecins et des travailleurs sociaux qui ont effectué des signalements d’enfants en danger ont même été sanctionnés pour procédure abusive. En mars 1997, le procureur de Nancy avait commenté dix arrestations effectuées dans le cadre de l’opération Ados 71 en ces termes : » Il n’y a pas de réseau structuré en Lorraine. Nous n’avons que des amateurs. » Cinq mois plus tard, on apprenait l’arrestation, à Charleville-Mézières, d’un individu sous le coup d’un mandat d’arrêt international connu pour ses relations dans le monde de la prostitution en France et en Belgique et dans celui du trafic des voitures volées. Il a été présenté comme une relation de Marc Dutroux. Depuis plus rien…
» On nous refait le coup du nuage de Tchernobyl, ironise Bernard Valadon. Les problèmes s’arrêteraient à nos frontières. » Lorsqu’un réseau international est identifié, l’enquête reste circonscrite aux limites de son pays d’origine. Dans le réseau Spartakus, du pasteur Stamford, aucune recherche ne sera faite en France, alors que des contacts de ce pédophile britannique étaient localisés à Nanterre, Nice, Saint-Quentin, Lyon, Strasbourg et Paris. Dans l’affaire du CD-ROM (évoquée ci-contre) l’enquête a été clause dès l’assassinat de son propriétaire, Gerry Ulrich, en Italie. Aucune investigation n’a été initiée en France alors qu’Ulrich avait ses habitudes à Garches, et des relations à Dijon, à Champigny-sur-Marne, à Tours, à Grandville, à Paris (12e et 18e) et comme par hasard… à La Ciotat.
Le président du Bouclier ne croit pas » à l’existence d’un réseau mondial avec je ne sais quel chef d’orchestre. Mais à partir du moment où il y a production de photos, de films, c’est bien pour en faire quelque chose. Il existe un marché et les réseaux permettant de le satisfaire. Les gens intéressés savent parfaitement se contacter et quoi se transmettre « . Ne grossit-on pas une perversion sexuelle qui a existé de tout temps, et qui a même généré des ouvres artistiques incontestables ? » S’il ne s’agissait que de littérature ou de dessin, on resterait dans l’onirique et le Bouclier n’existerait pas « , poursuit Bernard Valadon. Il y a trente ans on parlait de ballets bleus ou roses. Il y avait déjà des réseaux dans lesquels on retrouvait de hautes personnalités. Mais aujourd’hui, on assiste à un changement d’échelle : » La technologie n’a jamais autant facilité le passage à l’acte, explique Bernard Valadon. Les voyages en avion, la vidéo, Internet, vraiment on sous-estime le problème. Des fois, sur le Net, nous captons des images qui nous font pleurer. J’en ai marre que mon pays, terre des droits de l’homme, finisse par tolérer et banaliser le viol et les violences faites aux enfants. »
S. G.
(1) L’Industrie du sexe. Serge Garde. Messidor. 1986.
(2) Association le Bouclier, tél. : 03 25 49 42 27. Sur Internet : http ://www.bouclier.org.