La Dépêche du Midi Alors que s’ouvre le premier procès criminel en France d’un réseau organisé

Titre d’origine: Pédophilie : ces chiffres qui enflent et qui font peur

«Plus personne n’est à l’abri. A l’école, en vacances, au moment de choisir une nounou, moi aussi je me pose de questions, moi aussi j’ai peur qu’il arrive quelque chose à mes enfants ». Pédopsychiatre très impliquée dans la lutte contre la pédophilie(1), Dominique Frémy avoue, elle aussi, avoir été saisie de ce qu’elle appelle « la tentation paranoïaque »

Car, de la révélation de l’affaire Dutroux en 1996 à l’affaire « Albenque » – premier procès d’un réseau pédophile en France-, qui s’est ouvert, hier, aux assises de la Seine-et-Marne (lire ci-dessous), les témoignages se sont multipliés. Parfois des années plus tard, des enfants, des adolescents, des adultes aussi, parlent. Pour dire leur enfance gâchée par la perversité d’un instituteur, d’un prêtre, d’un père, d’un frère ou d’un ami de la famille. Comme si l’affaire Dutroux et la « Marche blanche » qui avait rassemblé 400.000 personnes à Bruxelles avaient catalysé une émotion collective, le début d’une révolte citoyenne, pointant du doigt, aussi, des lenteurs et des dysfonctionnements de la police et de la justice. Véritable électrochoc sur un fait de société qui interpelle les parents, bien sûr, mais aussi l’enfant qui est dans chaque adulte. Comme le dit justement le pédopsychiatre Marcel Ruffo, « la pédophilie, c’est ne pas respecter l’enfant que l’on a été dans l’enfant que l’on abuse ».

Six ans plus tard où en est-on? Au-delà de la chronique quasi quotidienne de l’horreur-dont l’affaire Holly et Jessica le mois dernier en Angleterre n’est que le dernier épisode-, vit-on une explosion du phénomène? Ou bien, la surexposition de ces affaires par les médias en donne-t-il seulement le sentiment?

Une chose est sûre: on est loin, très loin, d’une certaine complaisance pour la pédophilie cultivée, dans les années 1970, par certains milieux intellectuels. Le tollé suscité, il y a quelques jours, contre l’éditeur Gallimard et l’auteur du roman « Rose bonbon », dont le héros est un pédophile assassin, en est une bonne illustration.

LE SYNDROME « BARBE BLEUE »

Les enfants sont devenus des victimes à part entière, même si leur protection apparaît encore comme insuffisante.

« Aujourd’hui un juge ne demande plus à un enfant si c’est l’adulte qui l’a obligé à le sucer ou s’il voulait bien. Quand la victime a moins de 15 ans, on ne se pose plus la question du consentement. De la part de magistrats, c’est capital », explique Pascal Vivet d’Enfance Majuscule.

Résultat: en dix ans, on est passé de 430 condamnations pour viols sur mineurs de moins de quinze ans à 1.358, soit une augmentation de 215 %. Augmentation tout aussi vertigineuse concernant les violences sexuelles sur mineurs: 1.651 en 1990, 4.155 en 2000.

Tous les experts sont d’accord: ce n’est que la face cachée de l’iceberg. En 2001, il y aurait eu quelque 47.000 signalements d’abus sexuels. Mais selon Pascal Vivet, « trois plaintes sur dix se terminent par un non-lieu, faute de preuves ».

Car en matière de pédophilie rien n’est simple. Révélateur, l’affaire Dutroux a masqué aussi une autre réalité. Ce que Dominique Fremy, désigne par le syndrome « Barbe Bleue ».

« Tout le monde s’est fixé sur cette figure emblématique de la perversité. Mais dans la société, les pédophiles-prédateurs de ce type ne représentent qu’une petite minorité. Plus de 80 % des viols ou violences sexuelles ont lieu dans le périmètre familial ».

Pour Claire Brisset, Défenseur des enfants, la multiplication des images de violences sexuelles à la télévision facilite le passage à l’acte: « Et ce que n’importe quel enfant peut voir, aujourd’hui, en se connectant sur internet n’est pas vraiment rassurant », ajoute-t-elle.

Car, parfois, la violence sexuelle exercée sur des enfants ne vient pas des adultes. Dernièrement, dans le Doubs, c’est un enfant de cinq ans, qui obligeait ses camarades de classes – filles et garçons – à lui faire des fellations dans une cabane de l’école maternelle. L’affaire a duré plusieurs semaines avant que des parents préviennent la justice. Les enseignants croyaient, eux, à une banale affaire de « touche-pipi »… n

Hervé MONZAT.

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(1) Experte auprès des tribunaux, elle a été en 1994, la première pédopsychiatre à assister policiers et juges dans l’écoute d’enfants victimes de pédophilie. Auteur de « Les Mots délivrés ». Editions Stock 2002.


Les peines encourues

Au sens strict du terme, le pédophile est celui qui « ressent une attirance sexuelle pour les enfants » (Le Robert). Le sens commun désigne les adultes qui passent à l’acte. Le Code pénal (Art 222) distingue, lui, les viols sur mineurs de moins de quinze ans et les agressions sexuelles. Les premiers sont considérés comme des crimes, relèvent des assises et sont punis de 20 ans de réclusion et de la perpétuité dans le cas d’un viol ayant entraîné la mort. Les agressions sexuelles sur mineurs sont punies de 7 ans d’emprisonnement et de 7000.000 francs d’amende.

A ce texte, il faut ajouter les nouvelles dispositions prises par la France dans le cadre de la lutte contre la prostitution infantile: depuis 1996 les clients de mineurs prostitués âgés de 15 à 18 ans peuvent être poursuivis. Désormais, ils risquent les mêmes peines pour des faits commis à l’étranger (tourisme sexuel). La loi du 4 mars 2002 prévoit trois ans d’emprisonnement et près de 300.000 francs d’amende.


Ils avaient « le goût des jeunes garçons »

Agés de 35 à 69 ans, ils avaient tous, selon leurs propres aveux, le même goût « pour les jeunes garçons ». Un commercial, un retraité, un maître-chien ou encore un laborantin: dix hommes presque ordinaires qui, depuis hier, doivent répondre devant les assises de Seine-et-Marne de viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans.

Deux accusés seulement sont dans le box, les autres sont assis dans la salle au premier rang. Vêtu d’un grand blouson en laine polaire bleu marine qui cache mal un embonpoint, Michel Albenque, 49 ans, a le regard caché derrière des lunettes légèrement teintées. Une allure lourde, peu soignée, qui cadre mal avec l’image du représentant de commerce beau parleur, décrit dans l’enquête. Avec des cadeaux, de l’argent de poche, il gagnait la confiance des enfants avant de leur imposer des relations sexuelles. Il écouté la longue lecture des documents qui synthétisaient l’enquête, faisant parfois « non » de la tête quand il était question des actes de sodomie qui lui sont reprochés et qu’il conteste. Il est mis en cause par les 19 victimes de ce dossier et ne reconnaît que les fellations et masturbations réciproques.

A ses côtés, également dans le box, Jean-Marc Smadja, 52 ans, les cheveux grisonnants attachés par un catogan, ne peut retenir quelques larmes. Petit, de très forte corpulence, Denis Page, 53 ans reconnaît être homosexuel. Il est l’un des seuls accusés de ce dossier poursuivi pour « viol ». Evoquant des séjours deux fois par an en Thaïlande, Denis Page a reconnu y avoir été condamné à deux années d’emprisonnement pour des faits de pédophilie.

Egalement accusé, André Estève, 59 ans, qui avait ouvert à Chelles un club de football pour attirer les jeunes garçons, ne s’est pas présenté à l’audience. Son cas a été disjoint.

L’audience se poursuit aujourd’hui et demain avec l’interrogatoire de personnalité des accusés et leurs expertises psychiatriques. Les faits ne seront abordés que vendredi. Le verdict est attendu le 18 septembre prochain.


Parents : les 10 signaux d’alerte

« N’en parle jamais c’est un secret entre nous. Et puis personne ne te croira… ». Après avoir abusé d’un enfant, le pédophile exige autre chose de sa victime: le silence. Souvent d’ailleurs en la culpabilisant sur le mode, « si tu parles tes parents vont te détester ». Pour les parents, il n’est pas toujours facile d’identifier le drame que peuvent vivre leurs enfants. Dix conseils pour mieux détecter les signaux de détresse.

1-L’enfant devient exagérément craintif. Il refuse qu’on le touche et le toilette.

2-Plaintes somatiques inexpliquées qui durent et s’aggravent: « J’ai mal au dos, mal à la tête… »

3- L’enfant régresse sans raisons apparentes. Il se remet à faire pipi au lit.

Troubles du sommeil: cauchemars, réveils en pleine nuit, terreurs nocturnes ou peur de s’endormir

5-Troubles alimentaires: l’enfant ne mange plus (anorexie) ou au contraire se bourre de nourriture du matin au soir (boulimie). Des vomissements fréquents doivent vous alerter.

6- L’enfant perd le goût d’apprendre. Ses résultats scolaires se dégradent.

7-Etat d’agitation, d’hyperactitivité.

8-L’adolescent devient mélancolique. Il se laisse aller, ne participe plus aux conversations, se replie lentement sur lui même.

9-Chez les adolescents, un changement d’attitude à l’égard de la sexualité. Soit il devient très inhibé en fuyant le sexe opposé. Soit au contraire, il devient extraverti, s’habille et parle de manière provocante.

10-L’enfant retourne la violence qu’il a subit contre lui: fugue, automutilation, tentative de suicide.

La Dépêche du Midi

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