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(20 minutes) Justice : Pourtant controversé, le « syndrome d’aliénation parental » continue d’être utilisé contre les mères

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FAKE OFF Le « syndrome d’aliénation parentale » est controversé depuis des années, mais toujours utilisée par la justice

- Voici des décennies que le « syndrome d’aliénation parentale » pose question dans le débat public. Certains avocats notamment continuent à le défendre, alors que les scientifiques s’y opposent.

- Le terme, théorisé par Richard Gardner, expliquerait la rupture soudaine et brutale d’un enfant vis-à-vis d’un parent, amenée par la manipulation de l’autre parent.

- Mais d’après des sociologues, derrière l’utilisation de ce terme se cache souvent un contexte de violence conjugale, voire incestueuse.

Il s’appellerait SAP, ou Syndrome d’aliénation parentale. Mais derrière un nom effrayant, se cache une controverse scientifique longue de plusieurs décennies et le sujet divise toujours sur les réseaux sociaux. Sur TikTok, une nouvelle vidéo virale met en lumière le sujet à travers une chronique diffusée sur le plateau du « Magazine de la santé », sur France 5. Le 6 juin 2019, l’avocate Brigitte Bogucki revenait sur la définition du terme. « C’est une espèce de rupture parentale brutale », « un rejet soudain d’un parent par un enfant », « une coupure complète ». Cela se traduirait par l’éloignement de l’enfant qui couperait les ponts avec un de ses parents sous le joug du deuxième parent.

Le concept est né au milieu des années 1980 aux Etats-Unis. Son auteur, le psychiatre Richard Gardner le définit comme un « trouble de l’enfance » qui se justifierait par « une campagne de dénigrement injustifiée, menée par l’enfant contre un parent ». Outre ses ouvrages écrits sur le sujet, le psychiatre avait son propre cabinet et aidait des familles en plein divorce. Seulement, la plupart du temps, seuls les pères étaient défendus.

Selon le psychiatre, les accusations par exemple de violence sexuelle sur l’enfant sont inventées par la mère et il s’agirait d’une manipulation. En France, c’est l’expert psychiatre Paul Bensussan qui s’empare de la notion dans les années 1990, notamment lors de la médiatisation de l’affaire Outreau.

Des situations de violence conjugale et d’inceste

De fait, ces dernières années, le syndrome dit « d’aliénation parentale » a été de nombreuses fois remis en cause par la communauté scientifique. En 2019, à l’occasion d’une question posée par la députée Charlotte Parmentier-Lecocq à l’Assemblée nationale, le secrétaire auprès du ministre des solidarités et de la santé rappelait que le « syndrome d’aliénation parentale » ne faisait l’objet d’aucun consensus médical.

Récemment, le chercheur en sociologie Pierre-Guillaume Prigent et la doctorante en sociologie Gwénola Sueur ont consacré un ouvrage à ce sujet dans Mères « aliénantes » ou pères violents ?, publié chez Empan. A travers plusieurs entretiens auprès de mères accusées d’aliénation parentale, les chercheurs ont cherché à comprendre le contexte d’allégation.

Une notion majoritairement implicite

Première hypothèse : les femmes interrogées sont possiblement victimes de violences conjugales. Deuxième hypothèse : les accusations « d’aliénation parentale » ne sont pas forcément explicites, mais aussi implicites. Lors des vingt entretiens passés, les chercheurs observent également un contexte de violence sexuelle incestueuse. « Nous repérons dans le récit des femmes les tactiques de l’agresseur : isolement, contrôle, intimidation, violence », décrit Gwénola Sueur.

Pourtant, aujourd’hui, la justice continue à utiliser cette notion « d’aliénation parentale » dans des affaires de divorce. « La notion n’a aucun fondement scientifique pour autant la justice l’emploie encore », fustige Pierre-Guillaume Prigent. Si l’accusation peut être explicite et utilisée par des experts, des travailleurs sociaux et validés ensuite par des juges, la plupart du temps, elle reste implicite. Le comportement de la mère serait visé principalement : elle serait trop fusionnelle ou elle chercherait à exclure le père de la vie de l’enfant. Et les conséquences sont lourdes avec parfois la restriction des droits de la mère vis-à-vis de l’enfant.

« On est face à un mythe »

Toutefois, un changement sur l’utilisation de ce terme semble s’opérer. L’ancienne garde des Sceaux Nicole Belloubet affirmait – toujours lors d’une question écrite à l’Assemblée nationale – que la prise en compte du prétendu SAP dans les jugements rendus par les juges pour enfants conduisait « à décrédibiliser la parole de la mère, exceptionnellement du père ou de l’enfant, et par conséquent à en nier le statut de victime en inversant les responsabilités ». Par la suite, une note avait été publiée pour informer les magistrats de son caractère controversé et les incitait « à regarder avec prudence ce moyen lorsqu’il est soulevé en défense et leur rappeler que d’autres outils sont à leur disposition en matière civile ».

Du côté de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le syndrome avait été intégré dans la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-11) pour finalement être retiré un an plus tard.

Mais est-ce cette reconnaissance suffit ? « Tant que la notion est utilisée de manière implicite, le changement va être compliqué. L’idée est toujours là que la mère manipule les enfants. On est face à un mythe », regrette Gwénola Sueur qui voit une notion « par essence antiféministe, voire misogyne ». Ainsi, la formation des magistrats mais aussi des policiers à ces questions reste un axe d’amélioration majeur pour les prochaines années en France.

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