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MK-Polis Lorsque les troubles psychologiques/dissociatifs sont utilisés pour décrédibiliser les victimes

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Dans les dossiers de justice liés aux affaires de pédocriminalité, les éléments psychologiques (qui ne font évidemment pas office de preuves) sont systématiquement utilisés pour décrédibiliser la victime. Ils permettent ainsi de classer les affaires sans mener de véritables enquêtes qui pourraient justement déboucher sur des preuves. En effet, la personne qui dénonce les abus est jugée psychologiquement instable, voir complètement déglinguée (et pour cause), donc sa parole est d’emblée jugée non crédible devant la justice… c’est justement sur ce point qu’il faut faire changer les choses et c’est bien là que se trouve tout l’enjeu concernant la parole et les témoignages de survivants. Pourquoi la justice ignore-t-elle les avancées en matière de psycho-traumatologie pour traiter les dossiers ? Un domaine pourtant crucial pour pouvoir aider les victimes et enfin comprendre comment fonctionne le système pédocriminel…

Revenons par exemple sur l’affaire Franklin aux États-Unis où certaines victimes ayant des troubles dissociatifs ont subi un acharnement visant à les faire condamner et enfermer… c’est à dire les réduire au silence.

Malgré plusieurs rapports de psychiatres expliquant clairement le phénomène des troubles dissociatifs, Paul Bonacci, tout comme Alisha Owen, une autre survivante du réseau Franklin, seront tous les deux condamnés pour parjure. Il a été jugé que l’état psychologique fractionné de Bonacci avec ses incohérences et ses contradictions, décrédibilisait son témoignage et que cela nécessitait sa mise en accusation pour parjure ! Il y a donc là une grossière contradiction. Une personne médicalement incapable de dire la vérité ne peut pas être coupable de parjure ou mentir délibérément sous serment. Mais il est classique dans ce genre de dossiers de mettre en avant l’état psychologique de la victime dissociée afin de décrédibiliser son témoignage. Le diagnostic de trouble dissociatif de l’identité, devrait être au contraire une pièce de plus à mettre dans le dossier pour appuyer le fait que la victime a bien vécu de sévères traumatismes, voir même du contrôle mental, et que l’enquête doit être approfondie plutôt que classée d’office.

Voici ce que le Dr Densen-Gerber avait rédigé suite à sa visite de Bonacci en prison :

1) Il a une mémoire des détails extraordinaire, faisant de lui un précieux témoin.                                             

2) Il ne ment pas.                                                                                                                                

3) Il a décrit précisément des rituels sataniques pratiqués de façon internationale par les sectes, une chose qui lui était impossible de connaître sans y avoir lui-même participé. Il décrit une de ses personnalités comme une puce d’ordinateur dans sa tête qui lui permet de maintenir une attention obsessionnelle sur les détails. Il peut vous donner des dates et des horaires d’une extrême précision. Je n’ai jamais vu un enfant capable de faire cela. Il est donc un témoin précieux. Il n’invente pas, il dira plutôt « je ne sais pas » s’il ne sait véritablement pas. (« The Franklin Cover Up: Child Abuse, Satanism, and Murder in Nebraska » – John W. DeCamp, 2011, p.212)

Dans le reportage « Vivre l’enfer: Abus rituels en Allemagne » , nous retrouvons également le même genre de procédé consistant à plomber la parole des victimes en mettant en avant leurs états dissociatifs. Une avocate déclare : Lorsqu’on a affaire à une personne souffrant d’un problème psychique tel qu’une personnalité multiple (trouble dissociatif de l’identité), alors surviennent des questions. Qu’est ce qui est fantaisiste, qu’est ce qui appartient à quelle « identité », à quelle personnalité ? Est-ce que tout cela colle ensemble, est-ce cohérent ? Au niveau juridique, ces personnes sont moins crédibles qu’une personne qui ne présente aucun trouble de la personnalité. » Nous y voilà, le point crucial sur lequel joue le Réseau pour écarter les témoignages dérangeants : les victimes sont évidemment dissociées par les traumatismes répétitifs et il est donc mis en avant cet état psychologique « défaillant » afin de réduire à néant leurs témoignages… Il s’agit là d’une certaine inversion consistant à ignorer le phénomène de cause à effet : un témoin souffrant de sévères troubles dissociatifs a forcément vécu des traumatismes… Mais encore une fois, c’est ici que se joue le contrôle de l’information, c’est à dire faire en sorte que les recherches sur les troubles dissociatifs sortent le moins possible dans le domaine public et ne soient encore moins enseignées dans les facultés de médecine. Tout a été fait pour ne pas relier les troubles dissociatifs aux traumatismes, si ce n’est tout simplement d’ignorer la réalité du phénomène de dissociation.

Voici ci-dessous un extrait du livre « Dossier X : ce que la Belgique ne devait pas savoir sur l’affaire Dutroux » qui rapporte comment Régina Louf (Témoin X1) a été expertisée par plusieurs psy au moment de l’enquête sur l’affaire Dutroux afin d’évaluer ses troubles psychologiques et la validité de son témoignage :

« L’une des rares décisions prises pendant une réunion Obélix, le 25 avril, est d’engager un collège de cinq experts psychiatres pour examiner X1. La demande en a été faite quelques mois plus tôt par l’adjudant De Baets, mais depuis que des magistrats des quatre coins du pays s’occupent de l’affaire, tout se déroule un peu plus lentement. Chacun des cinq experts a sa propre spécialisation. Et chacun doit évaluer X1 et son témoignage de son angle professionnel. Le collège est dirigé par le professeur Paul Igodt, un neuropsychiatre louvaniste, et composé pour le reste de ses collègues Peter Adriaenssens et Herman Vertommen, de Johan Vanderlinden, un médecin de l’hôpital psychiatrique de Kortenberg, et du psychiatre Rudy Verelst. En raison de sa spécialisation, le pédopsychiatre Peter Adriaenssens a pour mission particulière d’examiner les enfants de X1, mais cela ne se fera jamais.
Le collège des experts doit vérifier les capacités de mémoire de X1 et examiner s’il a été question de suggestivité de la part des enquêteurs lors des auditions. Ce qui est ainsi littéralement écrit dans l’apostille du juge Van Espen montre qu’il a déjà été briefé, fin avril, sur les relectures qui ont démarré en secret sous la houlette du commandant Duterme. Jusqu’alors, personne n’a jamais formulé de remarques sur le déroulement des auditions, qui sont au contraire qualifiées d’«exemplaires». Seuls Duterme et quelques-uns de ses fidèles ne partagent pas cet avis. «Je l’ai clairement senti», dit Regina Louf, «les psychiatres ont su très vite que leur travail ne changerait plus rien. Ils ont commencé à peu près au moment où De Baets était mis à l’écart. Au total, j’ai passé plus de trente heures à parler et à subir des tests psychologiques. Parfois, c’étaient vraiment des tests ridicules, mais ces gens essayaient de faire leur boulot honnêtement. Je pense qu’ils se sont retrouvés entre deux feux. Ils étaient en contact avec les enquêteurs qui leur ont certainement raconté que j’étais folle à lier. Lorsqu’ils me parlaient, il planait toujours une ambiance du genre: nous, on trouve que vous allez bien, mais on nous dit que… Lors du dernier entretien, Vertommen m’a déconseillé d’accepter de me faire auditionner sous hypnose. Il m’a dit de penser à ma famille et de me résigner au fait qu’on ne pourrait pas faire grand-chose de mon témoignage.»
Lorsqu’on demande l’avis de scientifiques, il est rare que la réponse soit noire ou blanche, et le plus souvent, elle est grise avec beaucoup de nuances changeantes. C’est également le cas du rapport de huit pages que le professeur Igodt envoie le 8 octobre 1997 à Van Espen. Ce rapport indique – tout comme X1 l’avait fait dès le premier jour – qu’on a affaire à une personne souffrant de troubles dissociatifs de l’identité. Igodt parle même, dans son rapport, d’un «trouble de personnalité-limite» (borderline). Mais, ajoute-t-il: «Grâce à de nombreuses années de thérapie l’intéressée a cependant réussi (…) à parvenir à un mode de fonctionnement intégré; ses différentes personnalités (alters), dont elle peut nommer certaines, collaborent assez bien et l’intéressée parvient à contrôler chacune de ces personnalités partielles, de telle sorte que les pertes de contrôle ne surviennent que rarement et de manière limitée. Une situation qui a d’ailleurs pu être remarquée au cours de l’examen clinique psychiatrique anamnestique: en dehors de rires quelque peu incontrôlés, plus particulièrement lorsqu’il est question des abus sexuels les plus horribles, la patiente se contrôle assez bien et aucune modification dissociative n’a pu être constatée. Comme il a déjà été mentionné, il faut attribuer cela en grande partie à la période assez longue de psychothérapie qu’a déjà accomplie l’intéressée.»
En ce qui concerne les causes de ces troubles, Igodt plaide formellement en faveur de X1: «L’examen clinique psychiatrique anamnestique confirme cependant le soupçon d’abus sexuels massifs dans le passé de l’intéressée. A la question de savoir si ces abus se sont produits et ont effectivement été importants en intensité, il semble qu’il faille répondre par l’affirmative. Ces abus massifs semblent d’ailleurs constituer le principal facteur étiologique des syndromes psychiatriques constatés, ce qui est conforme aux abondants résultats d’examens en la matière.»
Le rapport Igodt peut sans doute être considéré comme un des rares éléments d’enquête objectifs qui sont encore versés au dossier après l’été 1997. Igodt attire l’attention sur les dangers de «contamination» en ce qui concerne la mémoire de X1 – «sans qu’il ne soit question chez elle de mensonges intentionnels» – en raison de sa thérapie, de son attention à sa propre situation, ainsi que sa motivation évidente de lutter contre les abus sexuels sur les enfants. Igodt explique que la crédibilité des souvenirs d’une personne concernant sa jeunesse peut être mesurée d’après la façon dont ils sont racontés. Si le récit prend la forme d’une «histoire fluide» d’où le doute est absent, il y a beaucoup de chances que cette histoire soit inventée ou «reconstituée». Plus le témoignage paraît embrouillé, plus il sera authentique, estime-t-il. Car un témoignage sur des choses qu’on a vécues au cours de son enfance doit presque sonner comme s’il était raconté par un enfant. »  (« Les dossiers X : Ce que la Belgique ne devait pas savoir sur l’affaire Dutroux » – Annemie Bulte et Douglas de Coninck, 1999, p.249-250)

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