(The Huffington Post) Le « Syndrome d’Aliénation Parentale », un négationnisme de l’inceste validé par les tribunaux français

Depuis quelques années, le « Syndrome d’Aliénation Parentale », théorie d’un psychologue américain défendant la pédophilie, influence des magistrats français et les amène à punir celles et ceux qui signalent les agressions sexuelles sur mineurs et à blanchir les agresseurs. Sans connaître l’origine de ce qu’ils prennent pour des faits scientifiques, de nombreux juges confient des enfants victimes à la garde de violeurs, instituant un véritable négationnisme de l’inceste.

Il y a dix ans, j’avais infiltré durant quelques mois, pour les besoins d’un film, des mouvements d’hommes anti-féministes de Montréal, en me faisant passer pour l’un des leurs. Ces groupes théorisent la haine des femmes, justifient la violence conjugale, défendent la proéminence de l’homme sur la société. Organisés en mouvements « masculinistes » marginaux, ils ont acquis une notoriété au Québec en travestissant leur combat « pour les hommes » en lutte « pour les pères ». Ils m’ont enseigné comment cette vitrine leur ouvrait toutes grandes les portes des plus importants médias. Ils commencèrent ainsi à faire de l’escalade sur des ponts de Montréal ou au parlement de Londres, pour dénoncer une justice « tournée contre les hommes ».

Le volet le plus violent de leur idéologie est le discours ambigu à propos de la pédophilie. L’inceste est, à leurs yeux, un phénomène beaucoup trop criminalisé et une stratégie des femmes pour écarter les pères de leur famille, en forçant les enfants à inventer des agressions sexuelles commises par ceux-ci. En défense des agresseurs sexuels qui seraient systématiquement accusés à tort, ces hommes me firent l’éloge du « Syndrome d’Aliénation Parentale » (SAP) de Richard A. Gardner.

Genèse du concept de « Syndrome d’Aliénation Parentale »

R. Gardner est un psychiatre américain qui cherchait la notoriété dans les années 80. Mentant sur ses titres, il a écrit toutes sortes d’articles qu’aucune revue n’a accepté de publier et a fini par éditer tout son travail à compte d’auteur. A la recherche du concept qui le rende célèbre, il valorise la pédophilie considérée comme une pratique positive dans le cadre de la survie de l’espèce humaine. Gardner s’en prend violemment aux thérapeutes qui croient que le viol d’un enfant par un adulte « est immanquablement traumatisant pour l’enfant » et attribue l’origine de l’interdiction de l’inceste aux Juifs de l’Antiquité…

Richard Gardner invente alors un véritable bouclier pour protéger les auteurs de crimes pédophiles dans le cadre familial: le Syndrome d’Aliénation Parentale. L’idée est simple: lorsqu’un homme est accusé d’inceste, il est très probablement innocent et les agressions imaginaires sont le résultat d’un endoctrinement de la mère pour s’attribuer la garde des enfants. Face à tout signalement d’abus sexuel sur un enfant, il serait toujours plus probable que ce soit la mère la vraie coupable, manipulatrice et perverse. La misogynie des masculinistes y trouve donc une justification théorique cohérente.

Aucune autorité scientifique n’a jamais considéré les idées de Gardner comme sérieuses. Elles s’inspirent d’ailleurs de travaux du XIXe siècle sur les « faux attentats » à la pudeur contre les mineurs, que l’on pensait définitivement tombés dans l’oubli. Le Manuel diagnostique des troubles mentaux de la Société américaine de psychiatrie, référence mondiale des psychiatres, a toujours refusé le SAP, ainsi que l’Organisation mondiale de la santé. Certains pays comme le Canada ont avancé des recommandations contre tout usage du SAP qui aurait donc dû également tomber aux oubliettes avec son inventeur.

6% de Français déclarent avoir été victimes d’inceste, plus d’un enfant dans chaque classe

Paradoxalement, en France, le « syndrome » obtient actuellement un grand succès. Une récente enquête (1) montre que 6% des Français déclarent avoir été victimes d’inceste (9% des femmes) soit plus d’un enfant dans chaque classe à l’école. L’immense majorité de ces crimes passe donc inaperçue pour la justice et reste confinée dans les secrets de famille avec des conséquences traumatiques importantes. Néanmoins, quand un fait est révélé, il n’est pas rare que le parent protecteur, souvent la mère, soit puni par un tribunal et que le parent agresseur, souvent le père, soit innocenté et se voit confier la garde de l’enfant victime. Tout cela au nom du SAP présenté comme une vérité scientifique.

En effet, depuis quinze ans, un psychologue a obtenu une notoriété importante en faisant la promotion des thèses de Gardner: le belgo-canadien Hubert Van Gijseghem. Dans tous les pays francophones, celui-ci s’en est pris aux mesures de protection de l’enfance, discréditant toute parole d’enfant qui dénoncerait des violences sexuelles dont il est victime. Plus grave encore, en tant qu’expert auprès de tribunaux, il défend inlassablement la thèse de l’enfant menteur, de la mère fabulatrice et de l’agresseur innocent. Le sociologue Léo Thiers-Vidal a révélé les expertises où Van Gijseghem a tenté de faire innocenter un père incestueux dont on découvrira qu’il était récidiviste, un enseignant qui avait violé 17 filles de 10 à 13 ans, un père dont les agressions sexuelles sur son fils de trois ans avaient provoqué des lésions à l’anus constatées par des médecins, arguant contre toute évidence, que « Madame a tout inventé ».

Un négationnisme de l’inceste à la télévision et dans les tribunaux

Aujourd’hui, partout en France, le SAP s’est installé dans la pratique de nombreux professionnels de justice qui en ignorent l’origine et l’histoire. A force de répétition, des tribunaux reprennent textuellement le concept dans leurs décisions et un arrêt de la cour de cassation (2) valide le SAP de Gardner. De nombreux « experts » font ouvertement référence aux travaux auto-publiés de Gardner. Ainsi, le psychiatre médiatique Paul Bensussan se fait le promoteur du SAP auprès de nombreux magistrats. Des associations de pères (souvent proches de la mouvance « Manif pour tous » et qui ont imité leurs homologues québécois en grimpant sur des grues) en font également la publicité. Leur lobbying leur a permis de convaincre des députés de déposer trois propositions de lois à l’Assemblée nationale (3) faisant explicitement référence au SAP de Gardner et proposant d’inscrire ce concept farfelu dans la loi. Sans succès jusqu’à ce jour.

Le pédopsychiatre Marcel Rufo a donné un exemple fameux de la banalisation du viol des enfants. Durant son émission de télévision (4), une téléspectatrice le questionnait au téléphone, suite à la révélation faite par sa fille d’agressions sexuelles quand elle avait quatre ans. Rufo lui répond en direct « l’immense majorité des enfants abusés vont bien (…) elles vont bien dans leur vie sexuelle, amoureuse, professionnelle ». Et sans avoir même parlé avec la victime, il affirme que les agressions qu’elle dénonce sont « complètement fantasmatiques. Cela fait peut-être partie de sa reconstruction un peu plus délirante du monde où un agresseur existe fondu comme ça dans son histoire. La première chose à faire est de vérifier auprès de la personne citée. » Nier la parole de la victime, menteuse par défaut et demander son avis à l’agresseur présumé, innocent par définition. Les recommandations de Gardner à la télévision de service public…

Du coup, on observe deux phénomènes: la criminalisation des mères et celle des professionnels qui signalent les abus sexuels.

D’une part, de nombreux dossiers font apparaître des suspicions d’inceste (parfois sur des bébés) objets d’un signalement par un professionnel (crèche, école, nounou, pédopsychiatre…). Mais il arrive de plus en plus souvent que l’enfant soit alors confié au père présumé incestueux, blanchi de tout soupçon par un expert qui brandit le SAP de Gardner. Certaines mères supplient les professionnels de ne plus faire de signalement puisque à chaque fois, c’est elles qui sont punies et écartées de leur enfant qu’elles veulent protéger. Le ministère de la famille est parfaitement au courant de la situation puisque toute mère qui y demande de l’aide reçoit une lettre type où le SAP est défini comme n’étant pas reconnu par les classifications scientifiques de référence, ni par l’OMS. Néanmoins, chaque semaine, suite à des décisions de justice au nom du SAP, des mères sont forcées de remettre leurs enfants à un père dont elles savent qu’il est leur agresseur sexuel…

De nombreux dossiers que j’ai pu consulter font apparaître que la moindre faille chez la mère (une dépression, une ancienne tentative de suicide, le fait d’avoir été elle-même victime de viol à l’adolescence) servira à étayer la thèse du SAP et à défendre l’innocence par défaut de celui qui est désigné comme agresseur. Face à trois signalements très inquiétants de professionnels, une expertise pro-SAP peut amener un procureur à demander le classement sans suite pour le père et une amende pour la mère. Certaines femmes qui ont tenté de protéger leur enfant sont coupées de tout lien avec lui et menacées de prison, l’agresseur pouvant alors agir en toute impunité.

D’autre part, les associations françaises dites « de pères » ont invité leurs membres à porter plainte contre tout professionnel qui ferait un signalement pour suspicion d’inceste. Certains pédopsychiatres ont ainsi croulé sous les procédures extrêmement coûteuses. Catherine Bonnet, une pédopsychiatre très reconnue, raconte dans un livre (5) comment elle a essuyé huit années de procès qu’elle a finalement gagnés mais qui l’ont forcée à s’expatrier une fois sa carrière en France ruinée.

L’impunité garantie pour l’agresseur sexuel quand l’enfant a moins de 4 ans

D’après la pédopsychiatre et présidente du REPPEA, Eugénie Izard, seules 5% des plaintes contre des adultes pour viols sur mineurs aboutissent à une condamnation. En pratique les enfants pour lesquels la plainte est classée sans suite ne seront pas protégés, les services chargés de la protection des mineurs ou les juridictions aux affaires familiales s’alignant quasi systématiquement sur la réponse pénale et le récurrent classement sans suite.

Surtout, une grande partie des psychiatres et psychologues travaillant auprès des mineurs ne font pas toujours de signalement pour les suspicions d’inceste, souvent parce que sans preuves matérielles évidentes ils savent que la plainte sera classée sans suite, mettant encore plus l’enfant en danger et ce d’autant plus que le magistrat orientera la plupart du temps sa conviction vers l’existence d’un SAP au détriment du parent protecteur. C’est ce qu’a révélé une enquête du REPPEA réalisée en 2014, qui montre que 58,5% des enfants de moins de 7 ans, de parents séparés, pour lesquels un professionnel de l’enfance suspecte un inceste, ne bénéficient d’aucune protection.

Le psychiatre Gérard Lopez, qui dénonce le scandale du SAP depuis des années, attire l’attention sur le code de déontologie du médecin qui ne l’oblige pas à signaler des abus sexuels sur mineurs en cas de « circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ». Maître Rodolphe Costantino, avocat spécialiste de ces questions conclut ainsi à propos de la France: « l’impunité d’un agresseur sexuel aujourd’hui est garantie lorsque cet enfant a moins de 3 ou 4 ans ».

Dans vingt ou trente ans, le scandale du SAP éclatera et les médias d’alors ouvriront leur journal sur les témoignages des victimes que l’on oublie aujourd’hui.

(1) Sondage Harris Interactive pour AIVI 
(2) Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-14.392, P+B+I : JurisData n° 2013-013137
(3) Propositions de loi: 1710 (2009), 3834 (2011) et 309 (2012)
(4) Emission Allo Rufo sur France5 du 03/12/2012 (à 1’50 »)
(5) Catherine Bonnet, « L’enfance muselée », éditions Thomas Mols

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